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Critique de Philiplebel


Les Éditions L'Harmattan ont pour particularité de publier un grand nombre d'ouvrages, et, conséquence de cette politique d'ouverture, permettent à des auteurs jusque-là inconnus d'atteindre le public. Cette politique éditoriale a cependant un revers : à l'instar de l'École qui refuse aujourd'hui la sélection laissant grande ouverte la porte au n'importe quoi, de très nombreux livres publiés par cette maison mériteraient de rester dans le silence de l'anonymat.

Le livre d'Isabelle Soler est un avatar de ce fâcheux travers. Pour plusieurs raisons. La principale étant que, comme aurait pu le dire Magritte : « Ceci n'est pas de la littérature ». C'est, au mieux, un manifeste au service d'une cause, un tract militant, l'expression d'un ressentiment étalé sur un trop grand nombre de pages. « Tous pareil » aurait pu être le titre de ce pensum. Car le fil rouge qui court tout au long des chapitres se résume à ceci : l'Homme est la principale voire unique cause du chagrin et de la souffrance féminine.

Pour appuyer « sa » thèse, Soler nous donne un roman « me too » où l'écriture saute d'un prénom à un autre cherchant à démontrer que ce qui vaut pour Marie se retrouve chez Gabriele, se reproduisant également chez une autre et indéfiniment, dans une procession de l'affliction généralisée où ne s'élèverait qu'un seul mot d'ordre : « moi aussi » - toutes les expériences des dominées s'équivalant pour n'en faire qu'une. de la sorte, le monde pourrait être révélé à partir d'une grille binaire : un côté, féminin, avec les bons, de l'autre, masculin, avec les brutes, « tous pareil », cette partie de l'espèce s'avérant totalement dénuée de délicatesse et de considération, et tout procédant chez eux d'une culture de la goujaterie et du viol.

Et pour arriver à ses fins, c'est-à-dire pour donner toute la place à l'infinie souffrance féminine, Soler fait disparaître « tout le reste ». Exit le contexte géographique : les lieux sont décrits de manière très succincte et tout aussi caricaturale. L'auteur ne s'intéresse guère plus à la politique, à la sociologie, à l'Histoire et à la vie quotidienne (ce qui donne au passage de belles embardées, comme cette remarque révélatrice d'une profonde méconnaissance -sinon une forme de mépris - des conditions de travail des femmes dans la période de l'après-guerre. « Marie rêve. le travail à la ferme laisse du temps pour ça. »). Et, beaucoup plus troublant encore, en lieu et place de portraits, Soler nous livre des « personnages » (terme si peu approprié dans ce cas) creux, sans image (absence de véritable description physique), évanescents et transparents : la psychologie étant réduite à sa plus simple expression (simplisme de rôles convenus et archétypaux, interchangeabilité des caractères…). Soit un théâtre d'ombres.

Se faisant, à force de généraliser à tout-va, avocate d'UNE idée générale et étrangère à la peinture de l'individu, Soler propose un protocole compassionnel aux antipodes de la noblesse du projet littéraire, la force de ce dernier étant de s'intéresser au singulier pour atteindre, le cas échéant, le général. Concernant uniquement les femmes, certaines lignes de Madame Bovary, quelques passages de Colette, de V. Woolf, de M. Duras, d'H. James ou de S. Zweig… sont là pour l'attester. Pour cette raison, le prêchi-prêcha de Soler « n'est pas de la littérature ».

Un mot sur la forme. La tonalité noire, revendiquée, barbouille tout l'espace sans aucune demie teinte. Ce qui s'accorde bien à la grossièreté des psychologies, elles aussi monochromes. le vocabulaire emprunte quelques termes au registre trash, concession à la mode du moment qui masquent mal l'indigence de l'écriture. La construction de ce roman asthmatique déroute, pâle copie de certains films « chorale » ou du Short Cuts d'Altman, cette pseudo modernité de façade n'est en dernière instance qu'un « truc » d'escamoteur dans un jeu de dupes, permettant de masquer le vide sidéral des idées et du style. Et s'il y a bien quelque chose de « crashé », c'est le style.

Enfin, pour conclure, et cette fois à l'adresse des Éditions L'Harmattan. On est en droit d'attendre un peu plus d'attention dans le choix, le traitement (correction) et la sélection des manuscrits. le respect des lecteurs passe par là. En effet, à titre d'exemple, il n'est pas admissible de laisser Soler jongler avec la réalité des faits historiques. Ainsi, dès les toutes premières lignes du livre, pour relater l'épisode du Débarquement, on apprend « Quand la gueule (de la barge) s'est ouverte sur l'avant (SIC), il a bien fallu sauter (…). Hurlant sa rage, il s'est avancé sans savoir d'où venaient les tirs de mortier. (…). le démineur est toujours en première ligne, il doit nettoyer le terrain pour les gars. » Archi Faux ! Tous les documents sérieux (et ils abondent), comme une masse impressionnante de documentaires et de films … montrent que ce sont les soldats de l'Infanterie qui ont débarqués les premiers avec pour unique mission de conquérir au plus vite l'espace des plages. Les démineurs, (rattachés au Génie), avec leur tâche plus minutieuse, donc plus lente, sont venus bien après, souvent pour sécuriser le passage des chars. Quant au mortier, il a été totalement (et demeure totalement) absent de l'arsenal des armes de défense. Les armées allemandes, en 44, ont, en premier, utilisé des batteries de canons (en bunker) puis mitraillé (tirs droits et feu continu) les vagues d'assaut alliées. Se faisant, ils n'ont pas fait usage du mortier, cette arme lente projetant ses munitions en l'air (tir lent en forme de cloche) rechargée unité par unité. Preuve, s'ajoutant à bien d'autres, qui atteste de la déficience du propos.

On apprend, quatrième de couverture, que Soler pratique la sculpture. Fort bien. Ce qui ne l'autorise pas pour autant à manier l'Histoire, comme la glaise, selon son bon vouloir. Ses capacités littéraires étant ce qu'elles sont, on lui souhaite donc de persévérer… dans la sculpture.
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