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Critique de YvesParis


Dans toute son oeuvre, Guy Sorman s'est essayé à un genre périlleux : la réflexion comparatiste, à mi-chemin du récit de voyages et de l'essai politique. A la manière d'un Tocqueville, dans le sillage duquel il ne craint pas de s'inscrire, Guy Sorman dont « le monde est [l]a tribu » (Fayard, 1997), parcourt la planète pour mieux comprendre sa foisonnante diversité et tirer des leçons utiles des expériences étrangères. Autant cette démarche se comprenait-elle en leur temps de la part d'un Stendhal visitant l'Italie, d'un Chateaubriand en Terre Sainte, d'un Tocqueville ou même d'un André Maurois en Amérique, autant elle semble prétentieuse, en ce début de XXIème siècle, où il est peu d'objets de savoir, peu d'espaces géographiques qui n'aient déjà leurs spécialistes patentés.

Une lecture sévère de la dernière «promenade géopolitique» de Guy Sorman l'opposera inévitablement aux travaux, plus mûris, des Christophe Jaffrelot, Max-Jean Zins, Christiane Hurtig ou Jean-Alphonse Bernard, pour ne citer que quelques Français qui ont fait de l'étude de l'Inde leur spécialité. Guy Sorman ne joue pas dans la même catégorie. Il a l'honnêteté de le reconnaître. Il n'est qu'un simple voyageur, certes lucide, qui entreprend en voyageant en Inde « une remontée vers la différence absolue » (p. 17). Il y cherche, de son propre aveu, non seulement à découvrir l'Inde, mais surtout « à nous découvrir révélés par l'Inde » (id.).

Du coup, deux lectures de cette entraînante promenade sont possibles. La première est celle, toujours instructive et paradoxale, qui nous présente l'Inde moderne. Un pays qui vient de dépasser le milliard d'habitants et où se côtoient, sans se contredire, démocratie et castéisme : une preuve, inspirée du célèbre "Homo hierarchicus" de Louis Dumont que l'assimilation entre l'égalité et la démocratie est un concept strictement occidental, nous dit Guy Sorman. Un pays que la confrontation soudaine à la modernité a conduit à embrasser avec le BJP un nationalisme ombrageux, l'Hindutva. Un pays dont l'économie a été libéralisée en 1991 et qui voit tout à la fois l'émergence d'une classe moyenne et la misère de près de 500 millions d'individus qui vivent encore en-dessous du seuil de pauvreté.

A cette première lecture, strictement indienne, on pourra en préférer une seconde qui vise à intégrer l'Inde dans ce qu'il faut bien appeler le «système Sorman». Dans les années 80, Guy Sorman s'était fait le chantre de l'ultra-libéralisme par ses premiers ouvrages sur l'Amérique reaganienne (La Révolution conservatrice américaine, La Solution libérale). Sa pensée a évolué et la confrontation à la réalité indienne semble y avoir contribué. Depuis la chute du Mur et la disparition de la seule alternative expérimentée au marché, il n'est plus utile de promouvoir le libéralisme ; mais, alors que se profile une Fin de l'Histoire toute « fukuyamesque », Guy Sorman va chercher en Inde un « supplément d'âme » (p. 290) que l'Occident n'offre plus. Dans un style que ne désavouerait pas une Viviane Forrester, l'ultra-libéral Sorman cherche en Inde «un autre rapport à l'économie dont la finalité ne serait plus un pur exhibitionnisme de la consommation devenue folle, mais l'accès pour tous à une équivalente dignité» (p. 291). La troisième partie de son essai est consacrée précisément à la défense d'une « économie de la dignité » qui combine «l'innovation scientifique ... avec la morale du Mahatma Gandhi » (p. 172) : cocktail futuriste de « Netoyens » (p. 41, 177) câblés gérant des « biovillages » (p. 179) grâce à une agriculture high-tech.
On peut ne pas être d'accord avec cette vision de l'Inde et du message qu'elle est censée nous envoyer. Mais, il faut s'accorder à reconnaître la valeur d'une démarche qui invite à chercher en Orient « mille manières ... d'être des frères humains » (p. 291).
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