Morning glories, tome 1 : For a better future

Ce tome regroupe les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2010.

La première page est très cryptique puisqu'elle représente un individu dont l'identité n'est pas révélée qui attend dans un couloir d'hôpital avec un bout de papier entre les mains, sur lequel est griffonnée l'inscription "for a better future". La scène suivante se déroule dans une salle de classe. Madame Daramount s'apprête à annoncer les participants au prochain concours scientifique quand elle se met à réprimander une élève. Il s'en suit une explosion imprévue qui permet à 2 élèves de s'enfuir et l'un d'entre eux découvre une étrange toupie géante en rotation suspendue dans les airs. Puis l'histoire se concentre sur 6 jeunes gens qui quittent leur famille respective pour rejoindre cette école appelée "Morning glories" (ce qui renvoie également à l'appellation d'une fleur turbina corymbosa, proche du volubilis). Il s'agit de Casey (Blevins), Zoe, Hunter, Ike, Jun (Fukayama) et Jade. Ces adolescents semblent constituer une promotion particulière et ils découvrent les rites d'initiation et d'incorporation dans cette institution où les professeurs leur imposent des épreuves sadiques et cruelles. Ils ont été choisis pour plusieurs raisons qui se dévoilent en partie au fur et à mesure du récit, ainsi que pour leurs facultés intellectuelles et pour leur esprit d'indépendance. La lutte pour la position dominante peut donc commencer entre enseignants et élèves.

En 2010, Nick Spencer a obtenu la position de scénariste à fort potentiel courtisé par les 2 grandes maisons d'édition de comics (Marvel et DC). Il a également pu lancer sa série indépendante publiée par Image Comics. Il l'a présentée en indiquant qu'il estimait qu'il s'agissait d'une histoire qu'il raconterait en une centaine d'épisodes. Spencer réussit à donner une personnalité à chacun des 6 nouveaux très rapidement. Ils ont à la fois un profil psychologique de base simple, mais attachant, et des particularités intellectuelles qui les rendent uniques. Il est vrai que Spencer a une façon d'aborder la structure de son récit qui accroche tout de suite le lecteur. Il entremêle habilement une trame basique des élèves qui arrivent pour la première fois dans l'établissement spécial pour une confrontation désagréable avec le corps enseignants et une multitude de scènes secondaires, intéressantes par elles mêmes et pleines de mystères et de promesses.

À la relecture, cette composition est d'autant plus remarquable que chaque scène secondaire ouvre un champ des possibles vertigineux, tout en n'étant rattachée que par un fil très ténu avec la trame principale. Il y a la question des dates de naissance, l'étrange secte, une élève saisie de folie meurtrière, la scène se déroulant en 1490, les sous-sols labyrinthiques de l'établissement, etc. Spencer a également le don de narrer son histoire de manière simple, sans une once d'intellectualisme. le récit est à apprécier au premier degré sur la base des émotions ressenties par les 6 nouveaux, et en réaction aux machinations absconses des enseignants. En option, le lecteur peut essayer de deviner ce qui se dessine au travers de ces quelques pièces de puzzle.

Les 6 épisodes sont illustrés par Joe Eisma que je ne connaissais pas avant. Il utilise un style un peu fruste dans le sens où il ne semble avoir aucune notion d'ombrage. Il détoure avec soin chaque silhouette, chaque contour pour rendre la forme des personnages et des objets. Mais il ne varie presque jamais l'épaisseur du trait qu'il utilise et il ne se sert d'à-plats de noir que pour rendre la couleur des cheveux noirs. le résultat donne des dessins clairs, très faciles à lire, mais qui manquent un peu de densité. Ils ne manquent pas substance car Alex Sollazzo réalise un travail de mise en couleurs très professionnel. Il donne à chaque élève une apparence spécifique et facilement reconnaissable, ce qui est appréciable car l'uniforme est de mise dans cet établissement.

En fait en regardant ses illustrations de plus près, le lecteur a parfois l'impression d'un niveau de dessins amateurs pour les visages et les vêtements. Il a parfois également une approche un peu trop géométrique pour les objets et pour les salles de l'établissement. Mais globalement ces défauts de raideur et de manque de nuances sont compensés par la mise en couleurs. Et Joe Eisma a un sens très sûr du découpage des pages pour une grande lisibilité, et de la composition de chaque scène pour qu'elle soit le plus vivante possible. Il prend également le temps nécessaire pour rendre chaque décor particulier. Les salles de classe ont certes toutes un air de ressemblance, mais les parties communes de chaque niveau ont une décoration différente. Les chaises des classes ressemblent à du vrai mobilier, et pas à un fantasme de dessinateur paresseux. Les chambres des élèves sont agencées avec une notion réaliste de l'espace. Il sait ce que c'est qu'un faux-plafond et il le représente correctement. La scène dans le bar permet de visualiser un pub en bonne et due forme, avec peut-être une surface un peu exagérée.

Pour une raison mystérieuse, les couvertures originales des 6 épisodes ne sont pas incluses dans ce tome. Elles avaient été réalisées par Rodin Esquejo.

Donc ce tome est loin d'être parfait, il contient la preuve du manque d'expérience du dessinateur. Mais il constitue une lecture agréable et assez addictive : le lecteur veut savoir ce qui se passera après. Il veut en apprendre toujours plus sur ces phénomènes ahurissants. Je suis très curieux de savoir quels points cette promotion d'élèves va marquer contre l'institution.