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Critique de colimasson


Je n'aurais jamais compris l'intérêt de ce livre si je n'avais pas fréquenté ceux qui se prétendent pontes de la philosophie –comme quoi, ça peut servir d'aller à l'université de temps en temps, mais pas la peine de se sacrifier une année d'assiduité pour autant : un cours suffit amplement.


On pourrait reprendre Michel Houellebecq qui, dans « Soumission », soulignait avec regret la perte vive d'énergie que subissent les étudiants lorsqu'ils doivent se consacrer à l'écriture d'un mémoire ou d'une thèse dont le sujet leur échut dans une conjonction déplorable de contingences. Bref, Michel Houellebecq notait : « Des milliers de thèses ont été écrites sur Rimbaud, dans toutes les université de France, des pays francophones et même au-delà, Rimbaud est probablement le sujet de thèse le plus rabâché au monde, à l'exception peut-être de Flaubert, alors il suffit d'aller chercher deux ou trois thèses anciennes soutenues dans des universités de province, et de les interpoler vaguement, personne n'a les moyens matériels de vérifier, personne n'a les moyens ni même l'envie de se plonger dans les centaines de milliers de pages inlassablement tartinées sur le voyant par des étudiants dépourvus de personnalité ». Et bref encore, on peut sans doute appliquer cette observation à Spinoza dans le domaine de la philosophie et rêver aux milliers de thèses pondues à son sujet. Certains étudiants, plus margoulins que les autres, voulurent sans doute donner un cachet de légère originalité à leur défécation scolaire en s'intéressant à des textes de seconde zone (cette correspondance), certains allant même jusqu'à délirer complètement en soupçonnant le philosophe d'occultisme. Mais je suis injuste : pas besoin d'attendre la tertiarisation de la société pour voir se multiplier ce genre de thèses ; déjà, dans les siècles plus lointains qui suivirent la disparition de Spinoza, les hommes privilégiés qui pouvaient se permettre de survivre le nez dans des bouquins s'étaient amusés à ce genre de divagation.


A mon tour de m'inscrire dans la lignée de ces érudits impuissants. Bien sûr, je ne pense pas que Spinoza ait voulu cacher quoi que ce soit dans ses lettres. Il n'était pas outrecuidant au point de croire que de pauvres tâcherons s'épuiseraient à faire son exégèse après sa mort. S'il se contredit parfois, s'il passe souvent du ton sérieux au ton exalté, s'il écrit sur la religion pendant des pages pour ensuite répudier d'un crachat ces questions, ce n'est pas qu'il soit fou (quoique), c'est qu'il est humain comme nous tous, s'adaptant à l'intelligence de ses interlocuteurs et ne reniant pas, de temps en temps, le plaisir d'un changement brusque d'opinion. Comme disait ce fameux professeur de philosophie, que je n'ai vu qu'une fois (plutôt sobre le matin et carrément déjanté l'après-midi, après un repas franc-maçon bien arrosé) : « Il n'y a pas une philosophie de Spinoza mais DES philosophies ! » (et il rebondissait sur sa table, exalté par cette idée dantesque). Certes.


Mais moi, ce que je trouve le plus drôle, c'est lorsque Spinoza parle de religion. Plutôt surpris par la virulence des lettres de ses premiers détracteurs –qui voulaient tantôt le faire passer pour athée, tantôt pour musulman, tantôt pour d'autres trucs-, il se défend assidûment de n'appartenir à aucune de ces confréries. Il croit encore que l'avenir de sa carrière se jouera de cette lutte d'opinions. Mais le temps passe, la mort approche, Spinoza bien malade se fiche de ce qu'on en pensera et les dernières lettres sont assez jubilatoires, qui défroquent les chrétiens et les musulmans en une phrase (« Et je croirais volontiers que pour tromper le peuple et pour contraindre l'âme des hommes, il n'y a pas mieux [que l'Eglise romaine], s'il n'y avait aussi l'organisation de l'Eglise mahométane, qui est encore loin au-dessus, car depuis l'époque où cette superstition a commencé, aucun schisme n'est né dans cette Eglise » [ce qui n'est plus vrai maintenant mais on reconnaîtra au moins dans cette erreur que Spinoza ne possédait pas le don de clairvoyance]), et il n'épargne pas non plus les juifs (« Les miracles qu'ils racontent […] pourraient épuiser mille bavards. Mais ce dont ils sont le plus fiers, c'est qu'ils comptent, de loin, plus de martyrs que toute autre nation, et que leur nombre augmente chaque jour, souffrant pour la foi qu'ils professent avec une singulière constance d'âme »). Lire à cet égard la lettre 76 adressée à Albert Burgh, un ancien disciple de Spinoza qui n'avait rien compris à son enseignement et qui ne crut rien avoir à faire de mieux que de se convertir au christianisme, et de vouloir ensuite convaincre son maître de l'absolue justesse de sa décision (ce à quoi Spinoza lui répondit, avec l'art de la formule : « O garçon sans esprit, qui t'a donc charmé au point de te faire croire que tu avales, puis que tu as dans les intestins, le Suprême Eternel ? »).


Résumons à présent les nobles et précieuses raisons qui peuvent nous induire à lire cette Correspondance :
- Ça cause de religion, et pas que de philosophie.
- On découvre un Spinoza guère préoccupé des convenances sociales, envoyant chier ses interlocuteurs lorsqu'ils veulent le convaincre d'une idée née d'une quelconque malformation cérébrale (exemple de la lettre 48 de Jarig Jelles, libertin souhaitant fonder une nouvelle Torah. Mal tombé, Spinoza est indifférent aux dogmes religieux).
- Si on n'a rien compris à l'Ethique ou au TTP, tous les petits résumés se trouvent ici.


Enfin, on apprendra que Spinoza était un fort goulu buveur de bière, G. H. Schuller réconfortant ses tripes dans une lettre fort avisée en lui signalant que « le seigneur Bresser est revenu de Clèves. Il a envoyé ici une grande quantité de la bière locale ; je lui ai demandé de vous en réserver une demi-tonne, ce qu'il a promis de faire, en vous faisant ses amicales salutations ». Ainsi pouvons-nous en conclure que Spinoza était éthiquement un brave type.
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