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Critique de daniel_dz


Deux adolescents qui veulent regarder sous les jupes des filles organisent pour cela un jeu qui finira très mal. Un remarquable roman sur les influences que des jeunes peuvent exercer sur d'autres (sans Internet…), sans en mesurer l'ampleur des conséquences. Je recommande chaleureusement ce premier roman de la belge Lize Spit, même si la langue parfois crue et un chapitre très violent pourraient néanmoins rebuter certains lecteurs.

La gentille personne qui m'a offert ce livre comme cadeau de Noël m'avait ravi l'an passé en me faisant découvrir « Le petit joueur d'échecs » de Yoko Ogawa. J'ai donc abordé « Débâcle » avec des a priori positifs, malgré certains commentaires bien négatifs de lecteurs dont je partage souvent les avis. Sur le fond, j'ai trouvé ce récit remarquable mais sur la forme, je comprends que certains puissent ne pas accrocher, voire décrocher. Je vais m'en expliquer.

Le texte fait s'alterner deux histoires. Dans la première, Eva, la narratrice, a quatorze ans. Elle vit dans un petit village imaginaire de Campine où seuls deux autres jeunes, des garçons, sont nés la même année qu'Eva: Laurens et Pim. Ils forment un petit groupe soudé, par exemple parce qu'ils constituaient à eux seul un groupe d'âge à l'école primaire du village.

Cet été-là, curieux de voir ce qui se cache sous les vêtements des filles de leur âge, Laurens et Pim les convient une à une à un jeu malsain: ils leur soumettent une énigme qui peut leur faire gagner un beau cadeau à condition qu'à chaque mauvaise proposition de réponse, elle enlèvent une pièce de vêtement. L'énigme est évidemment fort difficile; c'est Eva qui l'a conçue, elle assiste au jeu. Lorsque se présente la dernière fille, le jeu va tourner mal. Très, très, très mal…

Dans la deuxième histoire, qui chevauche la première, Eva est adulte. Elle retourne dans son village, où se donne une fête. On la voit mijoter un plan, dont on sent qu'il est lié au jeu tragique de son adolescence.

De nos jours, on parle de plus en plus des problèmes de harcèlement subis par certains jeunes; d'aucuns en sortent marqués au fer rouge, allant parfois jusqu'à mettre fin à leurs jours. Dans « Débâcle », il n'est pas question de harcèlement mais plutôt de pressions que certains jeunes peuvent exercer sur d'autres. Internet n'y joue aucun rôle et j'y ai trouvé une piqûre de rappel extrêmement intéressante pour mettre en lumière qu'Internet n'est qu'un moyen, un coupable assez facile à accuser si l'on ne veut pas faire l'effort de chercher des causes plus profondes. L'ascendant que certains jeunes peuvent exercer sur d'autres est ici décrit à l'extrême. Laurens et Pim ne dressent pas des embuscades pour ceinturer des filles et les dépouiller de force de leurs vêtements. Non, les filles s'exécutent « librement », sans que les garçons ne les menacent de quoi que ce soit. Cette influence atteint son paroxysme dans la scène extrêmement violente qui se passe lorsque se présente la dernière fille. Cela se passe comme dans un jeu où des enfants se fixent des règles, auxquelles, pour rien au monde, ils ne dérogeraient.

Le malaise d'Eva est également fort bien rendu: d'un côté, elle se sent soudée aux deux garçons, amis de sa plus tendre enfance, mais d'un autre côté, elle est une fille et elle supporte de plus en plus difficilement leur attitude de jeunes mâles envers les autres filles. Elle les assiste, mais avec une difficulté croissante, surtout pour les filles desquelles elle se sent plus proche.

Et les parents, dans cette histoire ? Eh bien, ils jettent un oeil distrait à leur progéniture, mais sans plus. Et c'est l'occasion de réfléchir à ce qui aurait pu être évité si les relations avaient été plus proches, si le cadre familial avait été plus stable, etc. Je note l'épisode annexe de Tessa, une enfant qui souffre de problèmes psychologiques graves et qui, en fin de compte, est amenée à l'hôpital pour s'y faire aider non pas par ses parents mais par son frère et sa soeur… le texte est d'ailleurs parsemé de petites phrases qui peuvent avoir des airs de révoltes d'adolescents, mais qui sont néanmoins pleine de vérité.

Ce livre m'a secoué par la force des émotions qu'il dégage. En particulier, sans vous dévoiler l'issue finale, je vous dirais qu'elle m'a plongé dans une grande tristesse. Il m'a fallu de longues minutes pour en sortir, après avoir refermé le livre. Maintenant encore, j'en garde une sorte de révolte, de celles que l'on ressent lorsque l'on se dit que des événements tragiques auraient pu être évités.

Pour tout cela, je vous recommande ce livre, très chaleureusement. Mais la forme pourrait vous faire fuir. D'une part, souvent, la langue est crue. On appelle une chatte, une chatte, oserais-je dire. Peut-être est-ce dû au côté plus terre à terre du flamand, qui est la langue originale du texte, ou peut-être un moyen de traduire le malaise de jeunes adolescents face aux changements de leurs corps. Peu importe, mais il faut s'y attendre. Et puis vous devrez aussi passer au travers des quelques pages fort violentes que j'ai mentionnées plus haut. En plus des images très fortes qu'elles suscitent, elles risquent de vous plonger dans un désagréable malaise: celui d'un spectateur impuissant, qui voudrait intervenir mais qui ne le peut pas. L'auteure aurait-elle pu arriver au même résultat sous une autre forme ? La réponse n'est pas claire pour moi.

Bref, je maintiens ma recommandation à ouvrir ce livre pour découvrir ce premier livre hors du commun de ma compatriote Lize Spit, en vous conseillant de l'aborder dans un esprit positif. Mais si vous n'accrochez pas à la forme, ma foi, ne vous torturez pas à tenir jusqu'à la dernière page: toute lecture doit rester un plaisir !
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