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Critique de Sarindar


Plonger dans la bibliothèque de T.E. Lawrence et y piocher le Moby Dick de H. Melville, les Frères Karamazov de Dostoievsky, Ainsi Parlait Zarathoustra de F. Nietzsche et aussi les écrits chrétiens qui rappellent que tout est vanité, est-ce trouver les racines de l'action, et est-ce aller au fond de la pensée de l'auteur des Sept Piliers de la Sagesse, cet homme qui écrivit ce qu'on tenait plus pour un monument littéraire que pour un écrit fait pour l'histoire ? Est-ce dégager une morale de l'action et finir comme Lawrence d'Arabie, désabusé par tous ses échecs - dans ses rapports personnels avec sa mère et dans sa tentative pour offrir, sur les ruines de l'Empire ottoman, leur liberté aux Syriens conduits quelque temps par un Émir Fayçal chassé de Damas par les troupes françaises du général Gouraud -, dans l'idée que tout finit dans la désillusion et que mieux vaut, sinon se faire une raison, du moins admettre la vanité de l'action ?
Les longues réflexions, plutôt philosophiques de Roger Stéphane, sa façon de ranger Lawrence dans la catégorie des "aventuriers hommes de lettres" et d'établir des comparaisons entre cet homme et écrivain avec d'autres "aventuriers et hommes de guerre penseurs", comme Ernst von Salomon (mais pourquoi celui-là en particulier qui lutta dans les corps francs de la Baltique, s'opposa aux Spartakistes et écrivit Les Réprouvés?) ou avec un auteur qui se rêva homme d'action pour n'être pas seulement et simplement un homme engagé (aux côtés des Communistes, des anti-fascistes, des Républicains espagnols puis, dans un grand retournement, aux côtés du Général de Gaulle), personnage dans lequel chacun aura reconnu André Malraux, tout cela relève des réflexions intellectuelles, mais ne définit pas vraiment Lawrence.
Or, un homme comme Lawrence qui a surtout agi, dans un cadre et un contexte bien précis, et qui ne s'est pas rangé dans le domaine des idées mais bientôt plutôt dans celui d'une action réfléchie, et qui a ensuite revisité par des écrits théoriques et un chef-d'oeuvre littéraire son "aventure" personnelle inscrite dans une action collective, celle de la Révolte arabe contre les Turcs, menée de juin 1916, avant même l'arrivée de Lawrence, jusqu'à octobre 1918, ne se range pas aussi facilement qu'on le croit dans la catégorie des "aventuriers". Il fut plutôt un homme d'action au service d'un double rêve, celui de sa gloire personnelle et celui très contradictoire de la satisfaction des intérêts britanniques et des aspirations arabes à l'indépendance en Syrie (rêves qui ne furent qu'imparfaitement réalisés tant ils étaient peu conciliables et difficiles à traduire durablement dans les faits), surtout quand l'action politique et diplomatique reprit le dessus sur l'action militaire. La difficulté à le ranger dans une case bien définie entretient l'habitude de lui coller l'étiquette d'aventurier. Il n'aurait pas aimé, car il se serait plutôt comparé lui-même à un héros grec ou médiéval, animé par un idéal, même si cet idéal n'était pas vierge de toute recherche de publicité personnelle, encore que l'intéressé eût aussi des hauts-le-coeur devant cette quête de célébrité.
Malgré tous ses efforts, Roger Stéphane ne parvint pas à placer Lawrence aussi haut qu'il aurait voulu le voir s'installer, car l'époque où il écrivit son Portrait de l'Aventurier fut aussi celle où beaucoup commencèrent à écorner la légende de ce personnage.
Cette époque, celle où certains portaient Lawrence d'Arabie aux nues et celle où d'autres le déclaraient à jamais suspect de n'avoir été qu'un agent du colonialisme britannique et un mythomane, est maintenant révolue.
On juge autrement Lawrence.
Ce Portrait de l'Aventurier, curieusement préfacé par Jean-Paul Sartre qui oppose le militantisme politique, nouvelle forme d'héroïsme presque sacrificiel puisqu'il est au service d'une cause collective, forcément révolutionnaire selon ce philosophe dès lors qu'elle se veut positive, à l'esprit d'aventure qui est l'affaire d'une personnalité individualiste forcément un peu égoïste, ce qui sert souvent la cause des impérialismes et des conservatismes, car il est souvent orienté dans un sens qui est utile à ces intérêts-là, porte la trace d'une réflexion aujourd'hui un peu dépassée.
Lawrence, qui avait peur que des biographes s'intéressent à lui, car il voyait dans le genre biographique une forme d'ossification de l'individu qui a vécu et agi, a trouvé depuis de bons et savants biographes mais il intéresse aussi les psychanalystes, car sa pensée, ses ouvrages et sa correspondance sont scrutées aussi sous cet angle (cf John E.Mack et Gérard Pirlot). Les angles d'approche ont changé.

François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)
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