Même si j'ai souvent été gênée en lisant ce roman (Comment croire qu'il a été écrit au XXI°siècle ?), même si la violence du récit est sans cesse édulcorée et que ses héroïnes résolvent des siècles d'humiliation par la grâce de comptines bien-pensantes, même si
Kathryn Stockett suggère parfois qu'être une fille blanche de 1,80 m. est à peine moins compliqué que de garder des enfants d'une autre couleur que la sienne dans le Mississippi, je suis loin d'avoir détesté ce livre. On a peine à concevoir que l'Afrique du Sud ait été mise au banc des nations pour son apartheid alors que les États-Unis, à la même période, faisaient croire qu'ils avaient inventé le melting-pot.
«
La Couleur des sentiments » parle de la vie quotidienne, de tous ces faits sidérants destinés à permettre la séparation dans l'égalité (!), depuis l'uniforme obligatoire que les bonnes devaient se payer, jusqu'aux toilettes séparées destinées à éviter de transmettre des maladies.
« Mesdames, savez-vous que :
— 99 % des maladies des Noirs sont transmises par l'urine.
— Nous pouvons être handicapés à vie par la plupart de ces maladies, faute d'être protégés par les facteurs d'immunité que les Noirs possèdent en raison de leur pigmentation plus foncée.
— Les Blancs sont porteurs de certains germes qui peuvent également être nocifs pour les Noirs.
Protégez-vous. Protégez vos enfants. Protégez votre bonne. »
Malheureusement, quelle que soit la valeur de tous ces faits vrais qui nous sont présentés, le plus intéressant n'est pas traité. Les antisémites n'ont jamais engagé des Juifs pour élever leurs enfants. Pourquoi les Blancs ont-ils systématiquement confié leurs petits à des Noires dans les pays d'apartheid? Ou plus exactement, comment peut-on grandir en découvrant un beau jour que celle qui vous a élevé est méprisable et même répugnante ? le livre multiplie les mystères : qu'est devenue la nanny de Skeeter? Pourquoi Célia s'enferme-t-elle dans des chambres vides? Quel abominable tour Minny a-t-elle pu jouer à Hilly? Chacun de ces secrets sera résolu pour mieux dissimuler la véritable énigme qui, elle, n'est pas même posée: jamais aucun personnage n'affronte cette révélation qui transforme la scène primitive de papa
Freud en conte pour s'endormir. Comment toute une nation a-t-elle pu affronter le sacrifice de son premier objet d'amour, comment a-t-elle pu apprendre la répulsion pour la peau et l'odeur qui l'a enveloppée, sinon en développant la haine de soi?
Ce n'est pas dans «
La Couleur des sentiments » qu'on trouvera réponse à ces questions. Tout au plus apprend-on que les taches de transpiration sur les cols de chemise disparaissent si on les frotte avec de la mayonnaise. Quelqu'un pour essayer ?