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Critique de Troglodyte_onirique


Attention, spoilers :

Classique au premier abord, cette histoire de fantômes, publiée pour la première fois en 1975 aux États-Unis, s'avère très vite complexe et particulièrement prenante.
Le personnage principal, Julia, est tellement effacé, naïf et distrait qu'il semble bien trop fade, au départ, pour éveiller l'intérêt du lecteur. Et pourtant… Il se concentre peu à peu autour de Julia tant de phénomènes étranges, comme si elle agissait en catalyseur, et elle y semble si réceptive que l'on comprend rapidement qu'elle n'est pas un personnage ordinaire. Elle n'apparaît alors plus si insipide… et vous vous surprenez à suivre son incroyable histoire les nerfs à vif et les dents serrées !
Toutes les ficelles de la ghost story, élaborées de main de maître par les Anglo-Saxons, sont là : maison qui semble hantée par un esprit maléfique, médium terrifiée à la perception d'ondes émanant de ladite maison, sensations angoissantes d'une présence invisible, appareils ménagers qui se mettent en route tout seuls, objets qui disparaissent ou qui tombent avec fracas dans le noir, apparitions entraperçues du coin de l'oeil dans les miroirs, meurtres violents dont l'assassin reste anonyme et insaisissable… Tous ces phénomènes en apparence paranormale ne le sont pas forcément, l'intrigue apportant une explication rationnelle à certains. Quant aux autres…
À la manière de Henry James dans son Tour d'écrou, dont on ressent l'influence (parmi de nombreuses sources d'inspiration) sur Peter Straub, ce dernier a préféré la tension psychologique croissante aux images gore (quoique quelques scènes soient assez démonstratives, comme l'instant où la petite fille blonde décapite un oiseau en le coinçant dans les roues d'un vélo qu'elle fait rouler au sol) ou exhibant trop clairement un événement surnaturel estampillé comme tel. le thème de la démence est d'ailleurs omniprésent. Tous les personnages comportent leur lot de folie et d'ambiguïté, à commencer par Julia elle-même.
Rapidement, on comprend que la jeune femme, riche d'une fortune léguée par sa lignée paternelle, en grande partie acquise de façon brutale et sanglante, est une proie pour son mari, pour sa belle-soeur qui prétend la protéger alors qu'elle n'a d'autres intérêts que ceux de son frère, Magnus, l'époux de Julia, ou encore pour Marc, le beau-frère au « visage de loup déguisé en agneau » (p. 164). Tous en veulent à sa fortune, et Julia le comprend à un certain niveau de conscience. Aucun moyen pour s'octroyer une part de son gâteau ne les rebute, pas même celui de faire passer la belle nantie pour mentalement instable.
Néanmoins, tous, à un moment ou à un autre, ont la sensation que la maison de Julia est bien hantée par un esprit vengeur. Mais tous, encore, semblent plonger dans une obsession malsaine confinant à la folie, qui les fait douter de la fiabilité de leurs sens. Julia ne fait pas exception, elle qui, traumatisée par la mort de sa fille et broyée par un sentiment de culpabilité insurmontable, présente un comportement de plus en plus névrotique et se demande même à plusieurs reprises, du moins pendant un temps, si elle n'a pas accompli elle-même ce qu'elle prend pour les exactions du fantôme.
Car, dans la lignée du roman gothique, Julia a pour thème principal le poids du passé et des souvenirs qui ne se laissent pas oublier, venant à dévorer le présent. le passé de Julia est marqué par la trachéotomie manquée qu'elle a effectuée sur sa fille, Kate, alors que cette dernière était en train de s'étouffer avec un morceau de viande. Cette tragédie n'a pas fini de torturer Julia et son présent en porte encore les stigmates. Mais, surtout, cet accident entre en résonance avec un autre drame, plus ancien, qui a entaché à jamais la maison achetée par la jeune femme. Et c'est de ces deux événements issus du passé que va naître l'horreur, une horreur chaotique difficile à circonscrire au surnaturel ou au contraire à la simple théorie de la folie autodestructrice de l'héroïne.
Selon certains critiques dont le King de l'épouvante lui-même (Stephen de son petit nom), Julia, bien que ce roman soit diablement efficace, n'était qu'un coup d'essai pour Peter Straub, qui a signé son chef-d'oeuvre en la qualité de Ghost Story, publié quatre ans plus tard aux États-Unis, en 1979.
Alors, si vous avez déjà lu Julia, rassurez-vous : vous n'avez pas fini de trembler…

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