Autoéditée via la société canadienne La Plume Press (équivalent d'"éditeurs" tels que Librinova ou Edilivre en France), la série des "Enquêtes de Ginger Gold" rencontre semble-t-il un beau succès outre-Atlantique. Comme beaucoup de séries autoéditées qui le revendiquent comme un label, elle serait par exemple Best-seller du USA Today et rassemblerait une communauté de lecteurs assez importante dans les pays anglo-saxons. Autrice de plusieurs autres séries autoéditée,
Lee Strauss, apparemment très productive, compte à sa bibliographie un nombre impressionnant de titres en peu de temps. Mais quantité est-il synonyme de qualité ?
A la fin de cette première lecture, nous avouons être un peu mitigé. Abordons tout d'abord la question du packaging : s'il est bien évidemment criminel de juger un livre à sa couverture, il est parfois tout aussi difficile d'ignorer la couverture lorsque celle-là même est criminelle. En l'occurrence, l'éditeur français a choisi de conserver le visuel de l'édition originale. Fausse bonne idée. L'autrice remercie en postface la personne chargée du graphisme de sa couverture pour son "travail impeccable" : on ne discutera pas des goûts et des couleurs, mais on ne peut pas dire que le design respire l'élégance qui sied de coutume à ce type de roman. Une version alternative des couvertures en VO présentait un fond similaire et le visage d'une Ginger Gold très Art Déco dans une pastille, pour un résultat plus stylisé qui aurait sans doute été un meilleur choix.
Après le contenant, abordons la question du contenu.
Lee Strauss a avoué à plusieurs reprises avoir été très inspirée par "Les folles enquêtes de Phryne Fisher" ainsi que leur adaptation en série télévisée ("Miss Fisher enquête !"), tout en se défendant d'avoir plagié son autrice, Kerry Greenwood. Faute avouée, à moitié pardonnée ? Si certains détails du passé de Ginger s'éloignent de celui de Phryne (Ginger ne cumule pas les amants, a été mariée puis veuve, a travaillé pour les services secrets, etc.), les quelques différences restent minimes. Son retour au bercail en début de roman, son amie médecin, sa femme de chambre, sa relation ambiguë avec l'inspecteur et leur jeu du chat et de la souris... sans oublier une comtesse douairière très à cheval sur les convenances, qui évoque évidement Tante Prudence (et aussi beaucoup Lady Grantham de "Downton Abbey"). Ceci étant, ces ressemblances restent pour les nostalgiques de Miss Fisher la promesse d'une ambiance similaire et constituent en cela un moteur suffisant à la lecture. L'intérêt se situe alors dans les dialogues et plusieurs scènes habitées d'un humour léger qui garantissent de passer un bon moment.
La maîtrise du contexte historique est cependant fragile chez
Lee Strauss (là où Kerry Greenwood, elle, excelle). Cela se joue à un ensemble de détails, certes, mais Dieu sait que le Diable se cache dans les détails. Porter une robe charleston à une soirée mondaine ? Être titulaire d'un titre de noblesse et ouvrir une boutique comme n'importe quelle roturière ? Se clamer haut et fort membre des Bright Young Things ? Des erreurs scénaristiques qui privilégient le tape-à-l'oeil à la véracité et qui témoignent d'une méconnaissance du système de classes britannique et de certains de ses codes au tournant des années 20, et ce bien que l'autrice ait d'après sa postface fait de nombreuses recherches. Ces éléments ne seront peut-être pas remarqués par la plupart des lecteurs, mais les plus exigeants, fins connaisseurs de la culture anglo-saxonne, tiqueront à plusieurs reprises.
Côté intrigue, ce "Squelette dans le placard" se laisse malgré tout lire sans déplaisir, même si l'énigme est assez transparente. le concept de rejouer la soirée du meurtre dix ans plus tard est assez romanesque pour en faire un élément capital du roman, bien que l'enquête en elle-même n'échappe pas à certaines invraisemblances : interrogés par Ginger sur les événements de 1913, tous les suspects semblent s'en souvenir comme si c'était hier. Les férus de polars devineront certainement la clef de l'énigme avant sa révélation finale, mais se laisseront quand même porter jusqu'à la fin. A noter que ce premier tome paru en France est en fait le second de la série : quelques informations concernant une enquête menée à bord du paquebot qui a conduit Ginger en Angleterre font en fait référence à l'opus précédent ("Meurtre en haute mer", sorti après coup chez City éditions et présenté comme un préquel) ; cela ne gène en rien l'immersion dans cet opus-ci.
En bref : Premier tome à paraître en France des "Enquêtes de Ginger Gold", "Un squelette dans le placard" s'inscrit dans la lignée très en vogue des cosy mysteries mettant en scène une lady qui s'improvise détective. Autoéditée au Canada, cette série souffre de visuels qui ne trompent pas quant à la nature éditoriale de ces romans, mais propose un contenu sympathique à défaut d'être totalement original. Très inspiré de la série "Miss Fisher enquête !", ce premier opus de Ginger Gold reste plaisant malgré les approximations dans la reconstitution historique et les nombreux éléments empruntés à l'univers de Kerry Greenwood. Les lecteurs qui cherchent un pure moment de détente seront satisfaits.
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