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Critique de isabellelemest


Svevo, cet auteur classique à présent, a écrit très peu de romans et a même cru très longtemps, après l'échec cuisant de "Senilità", publié quand il avait 37 ans, qu'il ne serait jamais qu'un écrivain raté, ce qui serait advenu si James Joyce, son professeur d'anglais à Trieste, ne lui avait manifesté son soutien et son admiration et ne l'avait incité à écrire plus tard son chef d'oeuvre, "La conscience de Zénon."
Et pourtant quelle maîtrise dans ce court roman aux phrases rédigées avec l'élégance et le raffinement d'un style qui épouse au mieux les hésitations et les inflexions de l'âme aux prises avec des doutes et des incertitudes permanentes !

Les personnages sont peu nombreux, Emilio Brentani, un modeste employé de bureau, au centre du récit, sa soeur Amalia, disgracieuse et effacée, son ami le sculpteur Stefano Balli, qui servira de confident, et surtout la femme dont Brentani est amoureux, la coquette et infidèle Angiolina, surnommée bien à tort "Ange".
Emilio, sensible, porté à l'introspection et surtout dépourvu de volonté et d'esprit de décision, suivant les impulsions du moment dont il se repent ensuite trop tard, prisonnier du sentiment qui le domine, qu'il s'agisse d'amour, de colère ou d'une forme de lâcheté, cherche constamment à justifier à ses yeux ses propres inconséquences... Devant le comportement peu fiable d'une Angiolina charmante mais encline au mensonge et aux caprices, il ne cesse de s'auto-morigéner, de prendre des résolutions définitives, de chercher à rompre avec elle, mais ne parvient pas à respecter ses propres décisions. Jouet de l'amour, de la jalousie qui le ravage au moindre soupçon (très souvent justifié !), il aspire à la douceur, à la tendresse, se forge une image idéale de cette femme qu'il méprise intellectuellement et qui l'attire sentimentalement. Dans cette mauvaise conscience permanente, qui sera aggravée par le sort tragique de sa soeur, on perçoit déjà les germes de la "conscience" de Zénon... En observateur impitoyable, Emilio analyse continuellement ses sentiments et leurs motivations, mais cette lucidité ne l'empêche pas d'agir à l'encontre de ses propres jugements... Perspicacité de l'esprit, faiblesse de la volonté, le lecteur retrouvera cette même dualité dans le reste de l'oeuvre de Svevo, où elle mènera même à l'humour le plus déroutant.

On comprend certes le désaveu des contemporains de Svevo car il ne se passe presque rien dans le roman, et l'intrigue, s'il y en a une, ne suit pas de progression visible, au fil des contradictions du héros et de ses allers-retours entre détachement affecté et passion réelle. Seule la dramatique péripétie de la maladie d'Amalia, qui clôt le livre et où la douleur du deuil supplantera la fascination amoureuse, vient apporter une alternative à l'analyse psychologique du reste du récit.

Toutefois la finesse de l'analyse des sentiments, la peinture de la passion et de son irrationalité, l'obsession de la jalousie, font irrésistiblement penser à Proust et à "Un amour de Swann", publié quinze ans plus tard. Certes les deux écrivains différent beaucoup et par leur style et par leur propos, mais que de points communs entre Odette et Angiolina, adorables, mais si peu fiables, et qu'on pourrait si aisément mépriser...! Que de tourments causés dans les deux oeuvres par une jalousie ravageuse !
Plus que d'une filiation littéraire, on pourrait parler d'une convergence, qui a valu parfois à Svevo le titre de Proust italien, à tort ou à raison.

Alors pourquoi lire "Senilità" ? Eh bien parce que la subtilité des analyses et le raffinement de l'écriture y transforment la lecture en un régal permanent !
Lu en V.O,
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