Elle se nommait Pomone, comme la déesse des fruits, et elle évoquait à Coucou un figuier chargé de figues, tellement elle semblait mûre et succulente. C’était la plus jeune fille de Volumna. A l’âge de douze ans, à la consternation de sa mère, elle envisageait déjà une visite au Chêne Sacré. Mais Pomone était un arbre chargé de guêpe. Elle disait toujours la vérité, même si cela blessait, et parfois parce que cela blessait, et elle avait une tendance à voir plus d’araignées que de libellules.
En l’état des choses, néanmoins, ces implacables dames, les Parques, avaient tissé sa destinée sur le même modèle que celle d’Enée. Qu’on y tranche un seul fil et les deux hommes subissaient les mêmes infortunes. Ils auraient pu être Castor et Pollux, frère et frère, au lieu de père et fils. Si son père le lui avait demandé, il aurait même dressé une de ces absurdes pyramides d’Egypte.
Ascagne n’avait jamais aimé la reine de Carthage. Ses rages noires, son rire fébrile et même sa sombre beauté lui avaient déplu. Elle lui rappelait une panthère.
Mais il y avait en elle une différence qui se situait dans une fierté qui n’était pas de la hauteur, dans une force qui n’était pas de la dureté, dans un tristesse qui n’était pas de l’apitoiement sur son sort. C’était une jacinthe, semblable à celles qui étaient brodées sur sa tunique. Protégée par des abeilles. Pour ses amis des pétales. Pour ses ennemis, des dards. Il n’y avait personne comme elle dans tout le Bois d’Errance.
- Tu me causes tant de soucis, avec tes femmes. Tu les prends pour des déesses et ensuite tu oublies que même les Olympiens ont leurs défauts.
Il connaissait les femmes : ce à quoi elles étaient bonnes (à part sa mère, peu de choses, sinon aguicher le regard et réchauffer un lit) ; et quand se défier d’elles (la plupart du temps, et surtout quand elles pleuraient, souriaient ou évitaient de vous regarder).
- Tu as une abeille qui avance entre tes seins.
- C’est un faux bourdon. Ils n’aiment pas travailler.
- Je l’envie.
« Enée doit mourir. »
Ces mots exprimaient à la fois un ordre et un acte. Enée, le boucher troyen, abuseur de femmes, envahisseur du Bois d’Errance, devait mourir, et Mellone la dryade, dix-sept ans, qui pleurait quand elle écrasait une abeille ou rompait une toile d’araignée, était liée par ce serment aussi sûrement que sa reine, Volumna. A moins que les histoires colportées sur le compte d’Enée ne soient des mensonges – et des guerriers, des marins et des amazones attestaient de leur véracité – elle devait respecter ce serment et, si une telle charge lui incombait, assassiner l’assassin afin de préserver la sécurité de son peuple et l’inviolabilité de la forêt.
Ils avaient trouvé les pillards en train de monter le camp pour la nuit. Les tentes comme des oiseaux à terre, impatients de prendre leur essor.