Le tireur

- Un cancer. Un cancer, gloussa-t-il. Oh, c'est la meilleure. Mon Dieu, c'est la meilleure. Quand je pense à toutes les fois où vous avez dû échapper de justesse à la mort, et voilà. Le célèbre tueur ne mourra pas d'un empoisonnement au plomb ou d'une jolie cravate en corde, après tout. C'est son entrejambe qui aura sa peau !

C'était terminé.
Les rugissements des armes s'atténuèrent, puis se turent. Pendues au plafond par leur tige, les pales des quatre ventilateurs tournaient, agitant le chaudron de fumée noire. Le bruit qu'elles émettaient, l'unique bruit dans la pièce, n'était plus celui d'un souffle, d'une respiration discrète et régulière. Elles soupiraient. Elles semblaient pousser un soupir interminable, un chant funèbre et électrique pour le repos des morts en dessous d'elles.

Il tenait un revolver encore chaud dans la main, sentait la morsure de la fumée dans ses narines et le goût de la mort sur la langue. Le cœur haut dans sa gorge, le danger derrière lui - et puis la sueur soudaine et le néant, et la sensation douce et fraîche d'être né.

- D'après ce que j'ai pu voir, Madame, le Seigneur n'a pas franchement fait son boulot comme il faut. Placez un gars au bout du canon de mon revolver et je saurai le juger aussi bien que le Seigneur.

Ce n'est pas d'être rapide, qui compte, c'est d'avoir de la volonté ou pas. C'est là toute la différence : face au mur, la plupart des hommes n'ont pas de volonté. Je m'en suis rendu compte très tôt. Avant d'appuyer sur la détente, ils cillent ou prennent une inspiration. Pas moi.

Il s’arrêta et, pivotant lentement, il détacha la cafetière, se tourna à nouveau et la lança aussi haut qu’il put dans les airs. Il comptait dégainer et tirer pour la cribler de balles avant qu’elle ne touche terre, mais l’effort de son lancer lui provoqua une telle douleur dans l’aine qu’il ne parvint pas à dégainer. Il s’affala, agrippa le pommeau de sa selle et la cafetière heurta le sol, roulant au bas d’une vaguelette de sable, claquant et claquant encore.

Dieu ! Tu m'entends, Dieu ? Je ne crois peut-être pas en toi mais tu ferais mieux de croire en moi, bon sang ! J.B.Books ! Tu vois ce revolver ? Je m'en sers pour tuer ! Toi aussi, tu tues les gens, mais moi, je m'arrange pour faire mon travail plus proprement. Je tue les mauvais, tu tues les bonnes gens. J'ai mes raisons, tu n'en as aucune. Tu me tues à petit feu et je ne mérite pas un tel traitement. Tu m'as maltraité et je refuse d'être mal traité. Alors réglons ça entre nous, Dieu ! Viens m'affronter ! Sois un homme et viens m'affronter si t'en as les tripes _ lève-toi, dégaine et repars ! Dieu, sois maudit, Dieu, jette-toi sur moi tout de suite et tue-moi, ou bien laisse-moi la vie sauve !

Le Constantinople n'était pas prévu, en terme d’acoustique, pour les armes à feu.

Les veuves sont souvent peureuses, les femmes seules.

Il rêva aussi de Serepta, quand il faisait l’amour avec elle, et du son qui montait de sa bouche ouverte quand elle s’apprêtait à jouir. C’était comme une plainte de colombe au début, une élégie à la jeunesse, la force et la beauté gaspillées, qui, s’épuisant, se perdaient à jamais ; et puis ça se précipitait, le volume montait tandis qu’elle atteignait l’orgasme ; c’était comme si elle avait le cœur dans la bouche, et ce cœur chantait pour lui la chanson de vie, un ululement à la fois exultant et tragique : la, la, la, la, la, la. Jamais il n’avait entendu d’autre femme émettre de tels sons pendant l’amour.