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Critique de Erik35


C'EST ÇA, LES HOMMES...?

Un roman (qui n'en est d'ailleurs pas vraiment un, techniquement) qui vous invite à découvrir "Ce qu'est l'homme", et même, si l'on en croit son titre original anglais, TOUT ce qu'est l'homme (All that man is), cela interpelle, intrigue, attire, à n'en point douter, même si le programme vous semble un rien ambitieux. L'effet est encore plus évident lorsqu'on découvre un tel ouvrage à l'occasion d'une Masse Critique spéciale - remercions bien évidemment Babelio ainsi que les éditions Albin Michel pour cette découverte -, que l'ouvrage n'est pas encore sorti au moment où on le reçoit (il ne s'en fallait alors que de quelques paires de jours mais nous avons un peu traîné pour diverses raisons extérieures sans rapport avec ce qui nous intéresse ici), qu'il semble avoir été encensé par William Boyd de l'autre côté du "Channel" (sélectionné par ailleurs pour un des plus célèbres prix littéraires britanniques, le Booker Prize) et que tous les éléments étaient ainsi réunis pour une belle et grande découverte.

Une fois cette mise en bouche passée, que propose donc cette lecture de quelques cinq cent pages ?

En tout premier lieu, ainsi que nous le suggérons en introduction, Ce qu'est l'homme n'est pas exactement un roman mais une suite de portraits se développant comme un échéancier des divers moments de nos existences contemporaines (ou "post-modernes" si l'on veut), de mâles contemporains, ainsi que vous l'aurez compris : les femmes y sont clairement surnuméraires et si elles n'en sont pas moins l'objet des désirs ou, parfois, des manières de déesses tutélaires bien que de chair et d'os, elles n'occupent généralement que l'arrière plan des textes proposés ici. Oscillant entre un format nouvelle et de brefs sous-romans, les neufs pièces présentées dans l'ouvrage correspondent, peu ou prou, à différents âges, du sortir de l'adolescence, tel ce Simon parti faire un tour de l'Europe en compagnie de son camarade Ferdinand - dragueur impénitent - avant l'entrée à Oxford, un "jeune adulte" français ayant tout du "Tanguy", geek et sans avenir, un jeune trentenaire baraqué de Budapest qui cherche encore sa voie, en passant par l'âge adulte "conquérant" du début de la quarantaine (un professeur d'université) et de sa fin, en pleine acmé avec ce journaliste danois, de la cinquantaine triomphante (un anglais se lançant en solo dans les affaires immobilières) à la cinquantaine dégradante (un autre anglais vivant chichement en Croatie de sa petite rente londonienne), jusqu'aux remous de plus en plus vifs de l'âge (un milliardaire soixantenaire récemment ruiné puis un septantenaire toujours en quête d'identité accusant sa fin plus ou moins proche, à huit ou dix ans près).

Certes, tout le monde - du moins, beaucoup d'hommes - pourront se reconnaître ici et là dans ces portraits nous dépeignant un monde profondément triste, anxiogène, emprunt d'un profond ennui, sans but réel si ce n'est la prolongation infinie d'un présent sans cesse répété et parfois insensé. Tel se souviendra avoir ressenti ces moments-là de doute ou de dégoût, tel autre comprendra le chemin pris par tel ou tel. Cependant, il est bien difficile d'y retrouver ce que le titre, hautement prétentieux, se proposait de disséquer.
Prenons d'abord ces personnages dans leur ensemble. Bien que peu partisan des politiques de "quotas", il sautera aux yeux que nous sommes en présence d'homme invariablement blancs, presque tous issus de la classe moyenne (sauf le jeune geek du nord de la France et le hongrois garde du corps), tous hétérosexuels (certes, l'ultime personnage semble s'être interrogé sa vie durant, mais jusqu'à preuve du contraire, il n'est pas homosexuel), ils ont presque tous fait (ou vont faire) des études supérieures, ont leur vie se partageant allègrement entre plusieurs pays (à tout le moins, ils prennent l'avion comme nous pouvons prendre le bus), sont presque totalement internationalisés - "globalisés" -malgré leurs nationalités diverses (anglais surtout mais aussi français, hongrois, danois et russe) et entretiennent presque tous un double rapport étrange - bien que l'auteur ne fasse pas le lien aussi directement - à leurs véhicules (voiture pour l'essentiel, yacht pour l'ex milliardaire) et aux femmes (leur épouse, leur ex ou celles de passage). Ces européens (bien que pas forcément si évidente que cela, c'est la seule espèce de "nationalité" que l'on peut réellement leur attribuer. Et c'est une nationalité "triste", sans originalité, sans facétie, plate, uniforme) blancs plus ou moins phallocrates sont presque tous des matérialistes (à l'exception, sans doute, des deux plus jeunes) sans l'ombre d'une vraie spiritualité (sans même parler de religion), de rêves autres que de réussite sociale et professionnelle, des "CSP+" en puissance pour les uns, ratés pour les autres, mais c'est peu de dire qu'au bout du compte, ces hommes ne représentent qu'une part minime de leur congénères moyens.

Par ailleurs, les rapports qu'entretiennent ces hommes avec les femmes - mais aussi, pour être complet, avec leurs sexuellement semblables - oscillent, par ailleurs, entre épouvantable et parfaitement creux avec des variantes situées entre anecdotique, strictement sexuelle ou presque étrangère, excepté peut-être pour ce jeune homme sortant tout juste de son adolescence romantique. Notons par ailleurs qu'ils partagent tous cette étrange et morne solitude bien que se mouvant au beau milieu de leurs quasi-clones contemporains : on peine à nommer de ce beau nom d'amitié les rapports qu'ils entretiennent avec leurs semblables de même sexe ou de sexe opposé. Quant à la seule idée de famille, elle est totalement inexistante à force d'être annihilée par l'auteur. Les lecteurs pour lesquels amour, amitié, famille (etc) revêtent encore quelque importance apprécieront...

Certes, le trait est un peu forcé dans ces quelques lignes critiques mais il se révèle à peine moins caricatural, une fois bien posées les différents aspects abordés, dans ce volume long, sensiblement répétitif malgré la multiplicité des personnages, et sans être réellement ennuyeux - d'un style agréable, même s'il n'est pour autant d'une intense originalité, l'ensemble se lit sans peine, sans fatigue, sans surprise -, il se révèle assez vite monotone, désespérant, gris, superficiel et... un rien prétentieux, au regard du titre-programme auquel il invite le lecteur. On est loin, très loin, des pénétrants portraits à la Henry James dont David Szalay pourrait sembler être un rejeton très lointain. Tout n'y est pas absolument mauvais, bien sûr. Certaines de ces effigies d'homme pouvant se révéler touchantes : ce jeune Simon du début, en particulier, et qui fait écho à l'ultime portrait de cet homme de soixante-treize ans, qui n'est autre que son propre grand-père, l'auteur bouclant ainsi cette boucle des mâles. De même, la trajectoire de ce milliardaire ruiné, neurasthénique et assommé par la demande de divorce de son épouse est une assez bonne surprise, une fois dépassés les aspects éminemment caricaturaux, quasiment parodiques de ce chapitre.

Subsiste en bout de course un ouvrage pour hipster n'ayant le temps de lire que quelques pages entre deux avions, entre deux rendez-vous d'affaire, pour lecteur pressé et sans doute à la pointe de la "modernitude" qui n'a certes aucune envie d'aller voir dans les détails si le diable s'y est mis mais qui se rassurera à bon compte en contemplant les petites misères fades et dénuées de sens de ses propres contemporains - tous des humains déshumanisés ? - plus ou moins identiques. Une relative déception après un démarrage sous les meilleurs auspices, la première présentation d'homme demeurant, à notre avis, la mieux réussie et la plus profonde.
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