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Citations sur De la mort sans exagérer : Poèmes 1957-2009 (39)

UTOPIE

L’île où tout trouve enfin une bonne explication.
Ici on peut se fonder sur des preuves solides.
Point de chemin autres que ceux qui touchent au but.
Les buissons plient sous le poids des réponses.

C’est ici que pousse l’arbre de la Juste Hypothèse
aux branches démêlées depuis l’éternité.
L’arbre de Compréhension, lumineusement simple
s’élève près d’une source nommée Alors C’est ça.
Plus on avance, et plus vaste s’ouvre
la Vallée de l’Évidence.

Si un doute subsiste, le vent le chasse tout de suite.
L’écho prend la parole sans qu’on le lui demande
livrant avec ferveur les arcanes du monde.
A droite, la caverne où se reflète le sens.
A gauche, le lagon de Conviction Profonde.
La vérité remonte sans peine à la surface.
Au dessus du vallon, le Mont des Certitudes.
De son sommet s’étend la vue du Fond des Choses.

En dépit de ses charmes, l’île est toujours déserte,
et les traces des pas qu’on trouve sur le rivage
se dirigent toutes, sans exception, vers le large.

Comme si l’on ne faisait que repartir d’ici
pour plonger sans retour dans les abysses marins.

Dans la vie inconcevable.
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PROSPECTUS

Je suis un tranquillisant
J'agis en appartement
Efficace au bureau
Je passe les examens
Je témoigne au procès
Je recolle les pots cassés
Prends-moi seulement
Mets-moi sous la langue
Avale-moi seulement
Avec un verre d'eau.

Je sais y faire avec les malheurs
Traiter les mauvaises nouvelles
Réduire l'injustice
Eclairer l'absence de Dieu
Choisir un chapeau de deuil très seyant.
Qu'est-ce que tu attends -
Fais confiance à la pitié chimique.

Tu (vous) es (êtes) encore jeune(s).
Il faut bien te (vous) faire une raison
A-t-on jamais dit
Qu'on doit vivre sa vie avec courage ?

Passe-moi ton abîme
Je t'y ferai un lit.
Tu me seras reconnaissant(e)
Pour ces quatre pattes de chat.

Vends-moi ton âme.
Nul autre acheteur ne passera.

C'est le seul diable qui reste.
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IMPRESSIONS THEATRALES

Pour moi, de toute la tragédie, rien ne vaut l’acte six.
Les morts ressuscitant après la bataille,
les perruques repeignées, les robes époussetées,
les couteaux arrachés des cœurs,
les nœuds coulants desserrés,
les morts et les vivants en rangs bien ordonnés,
face au public.

Saluts individuels et collectifs :
main blanche sur le cœur qui saigne,
la révérence de la suicidée,
le hochement de la tête coupée.

Salut par deux :
la fureur main dans la main avec la bonté
la victime l’œil tendrement plongé dans celui du bourreau
le rebelle sans rancune avance près du tyran.

La pantoufle dorée piétine l’éternité,
moralité pesante qu’on chasse d’un coup de chapeau,
le zèle incorrigible de recommencer demain.

Les morts en rang par deux qui nous reviennent plus tôt,
après le troisième acte, entre les deux derniers.
Miraculeux retour d’éternels disparus.

La pensée qu’en coulisses ils attendaient leur tour,
sans toucher aux costumes, sans effacer le fard,
tout cela me bouleverse bien mieux que les tirades.

Et le rideau qui tombe est une élévation.
Tout ce qu’on entrevoit sous la frange fuyante :
la main qui précipitamment saisit la fleur,
où l’autre qui s’empare du glaive abandonné.
Et c’est alors seulement qu’une troisième main
invisible, fait son office
me prenant à la gorge.
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CONVERSATION AVEC LA PIERRE

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je veux pénétrer ton dedans,
y jeter un coup d'oeil,
te respirer à fond.

- Va-t-'en, dit la pierre.
Je suis fermée à double tour.
Même brisée en mille morceaux,
nous serons encore fermés.
Même broyés en poussière,
nous ne laisserons entrer personne.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je viens par pure curiosité.
La vie en est l'unique occasion.
Je tiens à me promener dans ton palais,
avant de visiter la feuille et la goutte d'eau.
Pour tout cela j'ai vraiment peu de temps.
Ma mortalité devrait t'émouvoir.

- Je suis de pierre, dit la pierre.
Je suis bien obligée de garder mon sérieux.
Va-t-'en, je n'ai pas de zygomatiques.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
On me dit qu'il y a en toi des salles grandes et vides, jamais vues, aux beautés qui s'épanouissent en vain, sourdes, où aucun pas ne retentit jamais.
Avoue que tu n'en sais pas beaucoup plus que moi.

- Des salles grandes et vides, je veux bien,dit la pierre, mais de place il n'y en a guère.
Belles, peut-être, mais hors d'atteinte
de tes six misérables sens.
Tu peux me connaitre, mais m'éprouver jamais.
Toute mon apparence te regarde en face,
mais ce qui est dedans te tourne à jamais le dos.

Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je ne cherche pas en toi un éternel refuge.
Je ne suis pas malheureuse.
Je ne suis pas sans abri.
Le monde qui est le mien mérite qu'on y retourne.
Je te promets d'entrer et sortir les mains vides.
Et pour preuve de ma présence véritable en ton sein
je n'avancerai que des paroles
auxquelles personne n'ajoutera foi.

- Tu n'entreras pas - dit la pierre.
Il te manque le sens du partage.
Aucun sens ne remplace le sens du partage.
Même la vue affûtée jusqu'à l'éblouissement
ne te serait d'aucun secours sans le partage.
Tu n'entres pas, tu n'as que le désir de ce sens,
que son germe, son image.

Je frappe à la porte de pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je ne puis attendre deux mille siècles
pour pénétrer sous ton toit.

- Si tu ne me crois pas, dit la pierre,
va voir la feuille, elle t'en dira de même.
Ou la goutte d'eau qui le confirmera.
Tu peux même t'adresser à un cheveu de ta tête.
Je sens monter en moi un grand éclat de rire,
un rire immense, que je ne sais pas rire.

Je frappe à la porte de pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.

- Je n'ai pas de porte, dit la pierre.
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MOMENT À TROIE

Voilà les petites filles,
maigres, et sans certitude
que leurs taches de rousseur disparaîtront un
jour,

n’attirant l’attention de personne,
elles marchent sur les paupières du monde,

elles ressemblent à papa-maman,
elles en sont vraiment effrayées,

telles quelles, devant leur assiette,
devant le livre d'images,
devant la glace, parfois,
elles se font enlever à Troie.

Dans le spacieux vestiaire du clin d'oeil
en belles Hélène elles se métamorphosent.

Dans le bruit de leurs traînes et de l'admiration
elles remontent l'escalier royal.

Si légères, elles n'ignorent pas
que la beauté est un repos,
que la parole épouse la forme des lèvres,
et que les gestes se sculptent d'eux-mêmes,
sous une inspiration désinvolte.

Leurs jolis minois
dignes d'une tragédie grecque,
se dressent fièrement sur leurs cous
méritant le siège d'une ville.

Beaux bruns des écrans,
grands frères des copines,
et le prof de dessin,
tous ! ah ! tous ils tomberont.

Voilà les petites filles
debout sur la tour du sourire,
contemplent la catastrophe.

Voilà les petites filles
qui se tordent les mains dans un rite
enivrant de feinte tristesse.

Voilà les petites filles
sur fond de ruines,
portant en diadème la ville incendiée,
les boucles du gémissement général aux oreilles.

Pâles, et sans une larme.
Rassasiées du spectacle. Triomphantes.
Une seule chose les chagrine, un peu :
que bientôt il leur faudra rentrer.

Et voilà les petites filles
qui rentrent.
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Quelqu’un, balai à la main



Quelqu’un, balai à la main,
se souvient comment c’était.
Un autre écoute, en hochant
la tête, toujours à sa place.
Mais près de ces deux-là
tournent déjà quelques autres
que ces histoires embêtent.

Parfois encore quelqu’un
déterre sous un buisson
de vieux arguments rouillés,
qu’il jette sur le tas d’ordures.

Ceux qui sont au courant
du pourquoi du comment
céderont bientôt la place
à ceux qui en savent peu.
Puis à ceux qui en savent prou.
Et enfin, rien du tout.

Dans l’herbe qui a poussé
sur les causes et sur les effets
il faut entendre quelqu’un qui se couche
un épi entre les dents
à regarder les nuages.


/ Traduction du polonais par Piotr Kaminski
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Quelqu’un doit traîner la poutre



Quelqu’un doit traîner la poutre
qui calera le mur.
Quelqu’un doit remplacer
et regonder la porte.

C’est pas photogénique,
et ça prend des années.
Toutes les caméras sont déjà
parties voir une autre guerre.

Il faut des ponts encore,
et des gares à nouveau.
Les manches seront en lambeaux,
tant on les retroussera.



/ Traduction du polonais par Piotr Kaminski
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Fin et début



Fin et début
Après chacune des guerres
il faut bien nettoyer
Un peu d’ordre dans tout ça
ne se fera pas tout seul.

Quelqu’un doit bien écarter
les gravats qui encombrent les routes,
sinon, comment passeraient
les charrettes pleines de cadavres.

Quelqu’un devra patauger dans
la fange et les cendres
les ressorts des divans
les débris de verre
les haillons sanglants.



/ Traduction du polonais par Piotr Kaminski
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LA HAINE

Toujours prête à lancer une nouvelle entreprise.
Mais s'il lui faut attendre d'accord, elle attendra.
On dit qu'elle est aveugle. Vous voulez rire - elle ?
Avec ses yeux de sniper ? Intrépide,
elle regarde l'avenir en face.
Elle seule.
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Que les gens ignorant ce qu'est l'amour heureux
Ne doutent pas que nulle part il n'y a d'amour heureux.

Il leur sera plus doux de vivre, et de mourir.
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