"La confiance que l'on s'accorde." Marie repensait souvent à cette phrase depuis quelques jours. Lorsqu'elle passait en revue les femmes qu'elle admirait - chanteuses, actrices, boxeuses -, elles avaient toutes ce point commun : cette assurance et cette fierté inflexibles.
J'ai eu beaucoup de chance dans la vie, je m'en rends compte… Mais si j'en suis là, c'est que j'ai toujours pensé que rien n'était insurmontable. Rien, tu entends ? Alors si je peux l'aider à quoi que ce soit, je le ferai, dit-elle en rivant ses grands yeux verts aux siens, avec une telle intensité qui finit par détourner le regard.
-J'ai encore beaucoup de mal à regarder ma poitrine borgne, même gonflée à bloc, se lamenta Madame Serda en déboutonnant son chemisier.
-Borgne ? répéta Marie sans comprendre. -Mon mamelon manquant, je ne vois que ça… Avez-vous prévu de le reconstruire ? Ça peut paraître bête, mais pour moi, ça a son importance. La tétine de mes enfants. Docteur, vous n'êtes pas encore mère, j'imagine… (Marie secoua la tête.) La maternité modifie notre vision du corps. À ce moment, cet endroit devient le centre du monde. Il gagne en sensualité et acquiert une dimension magique. À lui seul, il est capable de nourrir, de faire grandir, d'insuffler la vie, vous vous rendez compte ?
Voilà ce dont elle avait besoin.
D'un poème pour lui ressasser
que ça n'existait pas la fatalité,
ça n'existait pas le malheur éternel.
D'une bouée de sauvetage pour ça quand même que ça crochées à la vie des petits cailloux pour ne pas s'effacer. Parce qu'on ne sait jamais.
Qu'elle détestait sa vie. Et surtout le dimanche ! Quel jour cruel de pointer sans vergogne les inégalités entre les gens. Seuls les enfants et les travailleurs pouvaient se réjouir de cette cassure de rythme dans leur quotidien. Pour eux, chaque week-end était vécu comme une récompense, les rapprochant un peu plus des vacances. Et les autres ? Les oubliés. Ceux qui n'avaient pas accès aux joies du dimanche. Ceux-là étaient réduits à l'ennui et à la solitude.
Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images
Jean Cocteau
Il réalisait maintenant le pouvoir des mots. Parler lui avait permis de prendre du recul sur les choses. De mieux les analyser. De se sentir moins coupable également.
Ce moment où la cicatrice rejoint le sourire, il faut savoir le saisir... il marque la fin d'une histoire et surtout le début d'une autre.
Tu sais quel est ton problème Marie ? A force de vouloir réparer les autres, tu t'oublie
On ne trouve pas la solitude, on la fait.