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Critique de bobfutur


Pendant que certaines éditions phagocytent à l'occasion le travail d'autres — plus petites ou discrètes, ré-éditant sans mentions préalables (ou furtivement) une édition originale, s'auto-catapultant référence de quelques pans ou provenances de la littérature mondiale — d'autres bâtissent patiemment un catalogue précieux et original, faisant de chaque objet-livre un petit événement, donnant vie à une langue étrangère pour la notre.
Alors que les premières assènent leur voyant logo et couvertures « déco » sur les murs d'une bibliothèque, les secondes se contentent d'y déployer leurs couleurs.

C'est de littérature hongroise qu'il est question aujourd'hui, sans que soit fait mention, pour une fois, de la grande Ibolya Virág, ni de la maison arborant un gros C, bien que vous ayez sans doute compris que cette dernière était nettement visée dans ce premier paragraphe ( passez le balai, elle en décollera par la fenêtre ).

L'éditeur Héros-Limite rappelle la tradition d'excellence et de constance de l'édition suisse romande, loin des chimères métropolitaines, bruits de cours et de couloirs, alors que leurs confrères lausannois de l'Age d'Homme sont en état de mort cérébrale — due à l'absorption en grande quantité de nourritures sucrées post-industrielles — et que le groupe Libella (Noir sur Blanc, Phébus, etc.) commence à grossir dangereusement (?).

C'est qu'on a affaire ici à un roman national, celui du peuple Sicule, ces Hongrois de Transylvanie que l'histoire a fait roumains. Ces descendants des cavaliers magyars, uniques locuteurs de langue finno-ougrienne d'Europe Centrale, et dont la nation a constitué la moitié d'un vaste empire, formant d'importantes communautés dans ses pays limitrophes.

L'histoire de ces peuples mériterait des heures de recherches, ce dont ce livre ne s'occupe pas vraiment.
Roman d'apprentissage, largement étudié par les jeunes magyarophones, suivant un garçon à l'aube de l'âge adulte, propulsé du jour au lendemain garde-forestier par son père, nous arrive ici dans une nouvelle traduction, alors que les autres avaient tout bonnement disparu.
La préface nous explique quelque peu son étrange histoire francophone pour un roman de cette importance : publié en 1932, une première version sort déjà en Suisse en 1944 ; l'Histoire ne s'embarrassant que rarement de la « littérature des vaincus », il aura fallu attendre 2009 pour pleinement découvrir ce singulier roman, ni conte ni fabliau, pétri d'un humour bien particulier.

Nettement plus palpitant que le besogneux « Walden ou la vie dans les bois » d'Henry David Thoreau, infiniment plus convaincant que l'affligeant « Dans la forêt » de Jean Hegland, ce roman dont la lecture apparait à première vue comme anodine, sans doute du fait de sa fluidité, s'avère au final assez marquant, et ce malgré son côté trop théâtral dans ses dialogues.

Premier volet d'une trilogie que l'éditeur a jugé se suffisant à lui-même, ne nous livrant qu'un second ouvrage de Tamási, recueil de nouvelles dont notre spécialiste-traductrice de la littérature roumaine Gabrielle Danoux ( Tandarica sur la plateforme ) nous a fourni le seul retour, mitigé malgré sa coutumière note maximale, où l'on retrouve ce qui pourrait aussi gêner dans ce roman-ci : une dichotomie hongrois / roumain à la limite du cliché, parfois la dépassant si l'on en fait une lecture plus acide.

C'est peut-être cette ambiguïté qui a tenu éloigné la bienveillante Cambourakis ( et son fameux gros C ), malgré sa volumineuse collection « irodalom » ( ou « littérature » en hongrois ).
C'est probablement passer à côté d'un texte dont les seconds, troisième et pourquoi pas quatrièmes degrés de lecture se contredisent et s'équilibrent, semant le doute et le trouble dans cette histoire qui a le bon goût de sortir du cadre, son tragique presque résigné résonnant fort étrangement avec sa galerie de personnages pittoresques, ou bien son humour de cruciverbiste.

Une découverte supplémentaire dans cette très riche littérature de langue hongroise.
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