Citations sur Le Fleuve caché,: Poésies 1938-1961. Accents. Le Témoin inv.. (34)
Accents
LE CITADIN /LES LOGEMENTS
Ce qu'on entend à travers les plafonds,
ce qui vient des étages profonds
n'élève pas, ne baisse pas le ton :
gravement, les paroles bourdonnent,
le feutre tombe sur la bouche qui chantait,
sur l'eau qui dans les cuisines coulait,
sur tout ce qui se délivre et résonne.
Terrons-nous dans ces antres de laine,
enveloppons notre rire et nos cris :
ii ne faut pas que le jour nous entraîne
vers les lieux où le monde bondit !
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Comment ça va sur la terre?
- ca va, ca va, ça va bien
les petits chiens sont -ils prospères ?
-Mon Dieu oui merci bien.
Et les nuages?
-Ca flotte.
Et les volcans ?
-Ca mijote;
Et les fleuves ?
- Ca s'écoule.
Et le temps ?
- ca se déroule.
Et votre âme ?
- Elle est malade
Le printemps était trop vert
Elle a mangé trop de salade.
Ombre
Frange d'invisible,
tremblant de secrets,
l'absent qui te prie
et qui t'a porté
baigné dans son ombre
à travers le jour,
lié en silence
à toutes les feuilles,
à toutes les pierres
et à tous les temps,
n'est-ce pas toujours
ce vaste Toi-même
où tu t'es perdu?
Accents
LE CITADIN /LE CITADIN
Avancez ! Reculez ! Arrêtez ! — Des ordres
chuchotés haletants à l'oreille. Obéis !
(Capitaines cachés dans la faim et la soif)
Fuis ! Montre-toi ! Un salut !
Signe, tais-toi, réponds, prends garde !
Que d'ordres venus de partout !
Le soleil ? — La main sur les yeux !
La pluie ? — Courbe le dos !
L'amour qui arrive ? — Attention !
Et ces morts en travers du chemin tout à coup !
Chocs et contretemps de la ville
et de la vie, je suis tranquille
seulement si mon souffle et mon pas vous ressemblent.
L'instable est mon repos.
p.28
Nous ne sommes personne
et rien n'est arrivé
HEURE DE PRÉSENCE
Nous cherchons au bord d'une eau louche
l'éclatement d'un soleil clandestin.
Les désirs assouvis sont jetés aux souches
çà et là sous le jour incertain.
Peut-être est ce un bureau ou une prairie
chargée de débris et de reliefs
ou encore un fauteuil couvert d'affreuses broderies ?
Quelqu'un siffle en tous cas
et l'autre lui répond.
Un mince rayon fruit du sol au plafond.
C'est le moment de rire et de casser la vie
à tout petits coups de talon.
MONSIEUR MONSIEUR /OBJETS PERDUS
FABLE DU TEMPS
Les scarabées avec leurs mandibules
avec leurs roues dentées les pendules
dans leur barbe sans dents les vieillards
les souris les cirons dans les armoires
en tapinois grignotent le temps
le temps le temps le temps le temps
comme font dans la nuit majestueuse et noire
autour de leur soleil les planètes portant
la Géographie et l’Histoire
Les savants disent que le temps
des cirons et des planètes
n’est pas le même et qu’il est relatif
et que pareil aux costauds des fortifs
un temps trouve toujours un temps plus temps que lui.
Cependant le temps se déroule
qu’il soit petit ou qu’il soit grand
et c’est partout cette chose qui coule
avec les larmes avec le sang.
p.159
Accents
LE CITADIN /L'ALERTE
Pâle de peur dans sa chambre, il voyait
que la porte fermée frissonnait.
Une main au dehors tourmentait par moment la
poignée,
mais n'ouvrait pas ! Et des voix courroucées
dans le corridor résonnaient.
« C'est de moi, — pensait-il —, que l'on parle ici !...
« Qui m'accuse ? Qui me cherche ? Qui me suit ?
« Quel crime ai-je connu ou commis ?
« Qu'ai-je oublié, ou perdu ?... Ah !… la porte
« s'ouvre !... »
Mais non. Les voix, les pas qui les emportent
s'éloignent sur les parquets tremblants.
I! s'agissait de lui (ou d'un autre) pourtant !...
p.25
Accents
LE CITADIN / LES DANGERS DE LA MÉMOIRE
Ils s'assemblent souvent, pour lutter
contre des souvenirs très tenaces.
Chacun dans un fauteuil prend place
et ils se mettent à raconter.
Les accidents paraissent les premiers,
puis l'amour, puis les sordides regrets,
enfin les espérances mal éteintes.
Toutes ces images sont peintes
au mur, entre les fleurs du papier.
Ils pensent ainsi s'habituer
aux poisons que leur mémoire transporte.
— Moi cependant, derrière la porte,
je vois le PRÉSENT fuir avec ses secrets.
p.24
Nous ne sommes personne
et rien n'est arrivé