Citations sur La maison à claire-voie (19)
Si Matt pouvait voir dans quelle déplorable situation elle se trouvait, il se bidonnerait et engagerait à coup sûr des paris avec ses acolytes sur les heures qu’il lui restait à vivre.
Sans clim, l’intérieur de la Subaru se transformait en micro-onde. On entendait la carrosserie craquer comme si elle allait soudain se recroqueviller. Il convenait que Kimi se bouge les fesses si elle aspirait à un autre sort que celui de finir en momie contemporaine.
Certains affirmaient même que les petits kidnappés se voyaient contraints d’apprendre à parler avec les animaux, s’adonnant pour cela à des drogues qui finissaient par les faire se déplacer à quatre pattes. Il s’agissait sans doute d’inventions, de ragots, mais il devait bien y avoir un fond de vérité, et tous ces dénigrements se déversaient dans l’esprit de Kimi comme un acide contre lequel elle ne pouvait pas grand-chose.
Il bricolait à proximité une moto en compagnie d’un voisin peu recommandable lorsqu’elle s’était engouffrée dans la bagnole. Il avait eu juste le temps de pousser un rugissement en la voyant foutre le camp, puis, avant que la portière fût claquée, de lui balancer avec violence une clef à molette qui lui avait paru exploser son bras gauche. Par chance, la Subaru avait démarré au quart de tour.
Elle avait roulé comme une dingue, l’esprit en vrac, repris maintes fois de l’essence en piochant dans le vieux portefeuille dans lequel Matt entassait les dollars qu’il accumulait au cours de toutes sortes de magouilles, de trafics, de gains à des jeux dont il ne lui disait jamais rien, ou alors, seulement pour se vanter, quand il était bourré.
C’était une fille de la ville ; plongée dans ses études de médecine, elle n’avait jamais mis beaucoup le nez hors de Little Rock, et pour ainsi dire pas même au-delà du quartier de Quapaw où elle était née vingt-six ans plus tôt.
Kimi, se dit-elle, calme-toi, oublie tout ça. Pour le moment tout au moins.
Car le moment n’était pas terrible. La vieille Subaru piquée à Matt, celle à laquelle elle n’avait pas le droit de toucher, venait de rendre l’âme. De la fumée s’échappait du capot, le moteur avait poussé un dernier râle, puis s’était tu. Et cela au milieu de nulle part, sous un soleil cognant dur, avec autour des collines violettes dont elle ne connaissait rien.
Comme elle avait bien fait de ne pas se marier avec cette ordure de Matt ! Elle avait tout de même tenu trois ans. Plus de mille jours et autant de nuits à la colle en compagnie de ce putain de mec, quand il n’allait pas picoler ou chasser le cerf avec ses potes, ou dormir chez sa mère afin de s’assurer qu’elle avait bien fermé portes et fenêtres et qu’elle ne s’était pas oubliée dans ses draps.
La maison évoquait une cage thoracique géante. Elle était à claire-voie, constituée de planches verticales lessivées par les intempéries n’adhérant pas les unes aux autres. C’était comme si des mains l’avaient étirée dans tous les sens pour la rendre plus vaste, ou comme si, tour à tour, le soleil et le vent s’étaient acharnés à l’écarteler afin de prendre possession de son intérieur.