S'endormir avec toi, Léone, et puis, le lendemain matin, se réveiller... Et toi qui te réveilles aussi, me souris (oh là là, me souris) et viens au creux de mon bras droit, une jambe par-dessus les miennes. La chaleur de ton ventre. Caresser tes cheveux, te dire « Bonjour mon amour », puis poser une main sur ton épaule nue. Ma main à plat sur ta taille, ma main à plat sur tes reins, sentir au bout de mes phalanges la naissance d'une courbe qui fait frémir. Mais étendre ensuite les doigts sur ta hanche, ton épaule, la pétrir légèrement et s'endormir pour se réveiller à nouveau... Puis, tes petites mains maladroites et ensommeillées partout sur mon visage ; les doigts dans les yeux, les oreilles, la bouche, les narines et nos rires. Je ne t'ai jamais rêvée, Léone, car je n'ai jamais su rêver autant. Se réveiller avec toi, la beauté que c'est. Ce n'est pas rêvable. Tu es la femme pas rêvable. Le merveilleux aussi de nos matins chastes.
« Elle allait vers l’écrivain comme la limaille à l’aimant. Elle avait aimé son roman. » (p. 15)
Sainte-Rose était devenu célèbre grâce à cette longue série de tableaux cruels. Il en avait d’exposés dans presque tous les musées d’art moderne du monde, les vendait à la douzaine. Mais là, depuis quelques années, il avait changé de sujet. Il s’attaquait aux humains.
- Les fœtus de canards, c’était pour me faire la main.
Il avait remplacé les coquilles par des canapés en cuir rouge cloutés de cuivre – des meubles d’antiquité. Quant à ses personnages, assis aussi sur des bergères à confessionnal ou des duchesses à bateau, il les représentait, seuls, le corps à la torture dans des poses lugubres. On aurait dit des fantômes de fontaines. Ils semblaient être la proie d’eux-mêmes.
Mais de son ancienne manière, il avait quand même gardé un détail : tous les modèles du peintre étaient représentés avec des yeux de fœtus de canards morts. C’était là sa marque de fabrique, son cachet faisant foi.
C’étaient donc des hommes hantés sur des canapés, des chaises ottomanes. Il y avait aussi des femmes seules, assises sur des lits de repas. Alors tous les tableaux de Sainte-Rose semblaient être, dans son atelier, un dialogue de miroirs abandonnés.
Sur un monumental chevalet inondé par la lumière des verrières, une toile inachevée représentait une femme habillée.
Tout à l’heure, il accentuait l’éclat d’un reflet de corsage lorsque le fax, à côté, a tiré vers le peintre une langue de papier – la préface pour le catalogue de sa prochaine expo à Cologne.
Il l’avait lue une première fois en faisant crisser sous ses doigts sa très courte barbe blanche puis il était allé nettoyer ses pinceaux. Il entreprit ensuite de la lire une seconde fois : « Il n’y a pas de limites à la mélancolie humaine et la peinture de Sainte-Rose est à placer sur la pyramide des larmes… »
Ma Vénusienne...tu serais un mec, je serais pédé. Tu serais une pintade, je serais zoophile. Tu serais un bout de chambre à air, je serais fétichiste. Tu serais une enfant, j'attendrais...
Léone était assise, pieds nus, dans la salle de bain d'un petit hôtel du Croisic. Elle tenait au bout d'une pince à épiler, trois nouveaux poils blancs arrachés à son pubis...
Quant à son écriture, c'était de la littérature d'épileptique et de taré. C'était pour des cerveaux malades, faibles, résignés et fuyants. Son style est une permanente, il n'est pas frisé naturellement.
Sa figure semblait partagée en deux, ébahie à gauche, désenchantée à droite.
Il était hémiplégique du bonheur à tribord.
Détruire ce que l'on aime, toujours, de peur d'en souffrir. Préférer être responsable du désastre plutôt que de le subir.
Marc, lui avait de solides poignes et une envie de roman mais aucune idée d'histoire. il avait seulement un désir abstrait de se bruler un peu les ailes avec ce prochain livre. il aurait aimé que ce fut un livre dangereux, au moins pour lui.
« Détruire ce que l’on aime, toujours, de peur d’en souffrir. Préférer être responsable du désastre plutôt que de le subir. » (p. 115)