AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Fabinou7


“Vanité des vanités, tout est vanité”

La Foire aux Vanités est une longue (très longue) fresque comico-sentimentale, une satire des “snobs”, un sujet de prédilection de son créateur, en safari dans la jungle victorienne du XIXe siècle. Une jungle dont l'auteur connait bien les us, des cavalières oeillades de salons aux parties de whist dispendieuses.

“Vanity Fair” parait en 1848 mais le décor s'inscrit autour des années 1815, à commencer par Waterloo jusqu'aux années 1830.

“Le monde est un miroir qui renvoie à chacun ses propres traits”

Tout au long des plus de 1000 pages que compte ce pavé, le lecteur est invité à suivre les aventures de Becky Sharp et Amelia Sedley, deux jeunes femmes au coeur de ce théâtre monté de toute pièce par William Makepeace Thackeray.

“Ah ! les hommes ne se doutent jamais des souffrances et des sacrifices qui font la vie des femmes”

L'auteur de Barry Lyndon, fait chef-d'oeuvre du cinéma par Kubrick et sa bande originale, nous dépeint le tableau des polissonneries de Becky Sharp, qui veut “parvenir” dans la bonne société avec une volonté de fer et un charme irréfrénable. Nous en sommes renseignés dès le début de l'ouvrage, lorsque dans un scène très cinématographique, Rebecca Sharp jette par la fenêtre du petit carrosse le dictionnaire de Johnson gracieusement offert par la soeur de Miss Pinkerton, un “bold move” d'une audace décapante.
“le remords est de tous les sentiments humains le plus facile à assoupir lorsque parfois il se réveille.”

D'une part, le lecteur est témoin des chassés-croisés, nombreuses péripéties de la théâtrale Becky pour se maintenir, ses revers de fortunes et victoires éclatantes, la vanité des hommes qu'elle peut duper… et de l'autre, le naïf égoïsme d'Amelia dont la candeur n'a d'égale que l'absence de lucidité. Bref, aucun de ces personnages ne nous séduit vraiment, même si, selon la conjoncture dans laquelle ils se trouvent, le lecteur peut être amené à prendre temporairement le parti de tel ou tel, force est de reconnaitre que la vanité est le trait de caractère le mieux partagé par les personnages du roman… Thackeray le sait bien et nous annonce la couleur “A novel without a hero”, pas de héros pour sa fresque.

“En tête de ce chapitre, nous avons annoncé un dîner à trois services, dans le désir qu'il soit tout à fait selon le goût du lecteur, nous laisserons à son imagination le soin d'en composer le menu”

Pourtant, cette pièce maitresse de son oeuvre connaîtra un succès et une aura persistants, redécouverte par le cinéma comme par la télévision, sans doute car cette satire humaine est aisément transposable au monde d'aujourd'hui, à la comédie “corporate” du secteur tertiaire qui reproduit certains phénomènes de cour et autres vanités brillamment décrites par Thackeray. le médecin-philosophe français Henri Laborit, dans Eloge de la Fuite donnait une définition du snob “stérile il ne peut affirmer sa singularité qu'en paraissant participer à ce qui est singulier. Il se rêvet de la singularité des autres et fait semblant de la comprendre et de l'apprécier.” Nous pourrions même aller plus loin en citant Harold Nicolson, l'époux de l'écrivaine britannique Vita Sackville-West, observant que “dès qu'il y a plus de trois poules dans une basse-cour, le snobisme galinacé s'installe.” N'est-ce pas désolant ? Qu'au sein d'un open space, une cour de récréation ou une salle de classe l'humain ait à ce point besoin de stratifier les autres en un battement de cil, de remettre des couches “sociales”, de mettre en place un système de dominance, de distinction basés sur les vanités matérielles et honorifiques, de pousser aux marges les infréquentables, condamnés au désir d'être un jour acceptés dans le premier cercle et prêts, pour cela, à toutes les bassesses.

“ce qui nous préoccupe le plus en effet, n'est point le regret d'avoir mal fait, mais la crainte d'être trouvé en faute et d'avoir à encourir ou la honte ou le châtiment.”

Malgré l'ambition de son propos, la comédie humaine de Thackeray se perd cependant à moultes reprises dans un comique de répétition, au gré de chapitres facultatifs, et d'intrigues qui n'apportent plus rien à l'avancement de la narration et qui au contraire donnent l'impression de différer volontairement l'action… serait-ce pour des raisons bassement matérielles ?

En effet, et cela se ressent, comme beaucoup d'ouvrages de l'époque, la Foire aux Vanités n'est pas un roman longuement mûri de fond en comble par son auteur avant d'être délivré au public mais un feuilleton, livré par l'écrivain et publié dans une revue, chapitre après chapitre sur plus d'un an… c'est donc une expérience de lecture au compte goutte pour le lecteur de l'époque, différente d'une lecture de tous les épisodes mis bout à bout de nos jours. Comme dans toute série un peu longue aujourd'hui, certains épisodes du livre ne sont là que pour meubler et faire gagner son pain à Thackeray, assidu abonné des casinos et autres jeux d'argent qui avait bien besoin d'éponger ses dettes.

Ces contingences peuvent paraitre éloignées de la qualité littéraire intrinsèque du livre, néanmoins elles font partie des conditions matérielles d'apparition d'une création littéraire. A signaler également, quelques petites libertés prises par le traducteur de l'époque avec la version originale, ajouts ou retraits de paragraphes entiers… le roman n'ayant jamais été retraduit en français depuis 1853.

“Je vois d'ici la Foire aux Vanités qui en bâillerait d'avance”. Bref un ouvrage plus ramassé, plus maitrisé aurait sans aucun doute été d'autant plus redoutable à la fois sur l'effet d'effroi et d'amusement qu'il peut produire sur la bonne société d'époque mais aussi sur les leçons intemporelles qu'il peut nous léguer, mais à trop jouer sur la même tonalité, à savoir cette satire distanciée de personnages cristallisés dès le départ dans leur caractère et englués dans leur caricature, loin des romans initiatiques qui nous entrainent dans la progression des personnages, l'auteur dilue un peu son talent et il y a incontestablement un peu de gras dans cet ouvrage.

“Tout lecteur d'un caractère sentimental, et nous n'en voulons que de ce genre, doit nous savoir gré du tableau qui couronne le dernier acte de notre petit drame.”

Cela étant dit, c'est un bon divertissement, où le rire n'est jamais gratuit et les péripéties (lorsqu'elles arrivent enfin…) bien construites et surtout, le narrateur omniprésent accompagne de son esprit affuté et de ses saillies bien pensées la lecture pour notre bonheur, “By Jove !”

Qu'en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          12210



Ont apprécié cette critique (120)voir plus




{* *}