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Citations sur Livre (51)

je viens de l’un de ces peuples parti sans témoins et dont la dissolution s’achève dans l’indifférence. j’ai vu les murs se couvrir d’inscriptions étrangères jusqu’à ne plus les reconnaître, faisant de ma mémoire une fiction qui n’intéresse personne. je regarde mes souvenirs avec étonnement, ils se sont séparés de moi, quelqu’un les a vécus et je ne ressens rien. l’oubli provoque le malaise mais pas la vraie douleur.
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les voyages nous obligent à entrer dans des jeux dont nous ne maîtrisons pas les règles. au moment de revenir de mes expéditions je prenais conscience d'un poids inconnu qui m'avait longtemps oppressé.

Paragraphe 9.
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ils habitaient autrefois un monde changeant où régnaient le chaud et le froid, où se succédaient la lumière et l’obscurité […] un monde ouvert à tous les vents, totalement asymétrique, où les hommes vivaient dans l’angoisse du besoin. c’était un peuple vigoureux et batailleur dont l’existence était un long combat pour survivre. impitoyables, brutaux, ignorants, ils allaient et venaient dans des territoires sans chemins, ils affrontaient cette nature exubérante pleine de bénédictions et de maléfices qui les nourrissait et les frappait durement. ils guerroyaient pour la conquérir. ils savaient trancher, déchirer, tuer. ils tombaient à tout âge. ils pouvaient être forts pleins de vie et un instant plus tard morts baignant dans leur sang. un jour, dans ce monde cruel où seule la fin était certaine, ils sentirent qu’il fallait se garder des pièges de l’imprévu. ils avaient élevé des murs, édifié des citadelles imprenables. ils en avaient exclus les êtres qui n’étaient pas eux-mêmes. ils se firent plus tolérants et cessèrent de se battre. le suicide leur devint insupportable. ils oublièrent qu’on ne peut respirer sans risquer de mourir. ils s’en louèrent et gagnèrent des parts de vie. leurs anciens le regrettèrent. sans la guerre, disaient-ils, l’existence a perdu beaucoup de son plaisir.

Paragraphe 55.
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qui tourmente les démons sinon les anges

Paragraphe 35.
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des peuples apparemment plus rancuniers ou méthodiques que d’autres enregistrent sur les vestibules de leurs salles des fautes qui ne seront jamais effacées. les fautes légères se dénoncent oralement, il est permis qu’elles se diluent insensiblement dans la mémoire des hommes. mais le pardon par l’oubli est un acte involontaire et pour les fautes graves l’opprobre doit être éternelle, c’est l’infamia perpetuum, une muraille d’anathèmes qu’ils élèvent pour se protéger d’eux-mêmes. quels que soient les mots employés ses sentences ne varient pas, il a accusé à tort, il a pris la vie, il a abrité un proscrit, il a effacé l’infamie, il a jeté un sort, il a insulté les écritures, il a volé un livre. on dit que les plus vieux palimpsestes de la bibliothèque sont des infamies. chacun redoute de voir son nom se figer dans la prison de la mémoire. écrit une fois, lu mille fois, les criminels sont condamnés leur vie durant à lire leur peine dans le regard des autres, la plupart ne résistent pas et s’enfuient, préférant l’exil au blâme perpétuel. la bibliothèque accomplit simultanément l’infamia et la damnatio. de ces deux peines irréparables les hommes se demandent laquelle est la plus sévère, celle qui interdit l’oubli ou celle qui l’ordonne.
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des peuples aujourd’hui éteints nous ont laissé la connaissance d’un être qui ne craint pas plus la mort que le sommeil qui nous anéantit chaque nuit. il franchit les mers et les déserts, il survole l’indus, l’euphrate et le nil, c’est le grand oiseau pourpre du soleil, le phénix. partout il va devant les temples et il émeut les dieux et les hommes de son chant profond. aucune musique ne peut lui être comparée, aucune n’atteint ses accents et ses harmonies, aucune n’égale sa mélodie suave dont les notes pleines de nostalgie ont le pouvoir de ranimer les souvenirs enfuis. quand le phénix a parcouru les quatre cent quatre-vingt-dix-neuf ans de sa longue existence, sentant décliner ses forces, il retourne là où il est né, à l’endroit où se joignent le ciel et la terre, sur les hauts plateaux d’abyssinie où veillent les géladas, ces singes-lions au fier sourire dont la poitrine porte la marque écarlate qui les désigne comme les gardiens de son sanctuaire. il rassemble de grandes inflorescences qu’il ploie et entrelace sur une roche escarpée, construisant au-dessus des brumes et des peines du monde le nid qui sera son bûcher. il s’installe sur ce lit et attend le jour prochain. aux premiers rougeoiements de l’aube, il entame une dernière fois son chant, appelant la lumière sur lui. lorsque le soleil atteint son zénith la voix du phénix s’abaisse en une douce plainte, un rayon fait jaillir une flamme et le voilà qui s’embrase, bientôt réduit en cendres. s’il meurt c’est pour vivre. à la première rosée se forme un obscur magma. il en naît une larve aux reflets cuivrés qui tisse autour d’elle un cocon dont la soie se durcit en une paroi de pierre. les anciens assurent que la nymphe se nourrit des rayons du soleil, aucun ne mentionne la durée de sa métamorphose. quand l’œuf se brise paraît un oisillon roussâtre qui va grandir lentement sous la garde occulte des géladas qui paissent sur les prairies d’altitude. après onze ans son corps se couvre de pourpre et sa gorge s’éclaire de plumes aux couleurs du soleil. le phénix a repris sa figure première. ce n’est encore qu’un adolescent de quelques mètres d’envergure quand il quitte le nid qui fut son berceau et la tombe de son père pour regagner le monde où la naissance et la mort sont séparées. nous aimons croire à la sérénité de cet oiseau au vol monotone que ne troublent ni le léopard ni les vents de sable et qui sans s’émouvoir s’immole à intervalles réguliers comme une horloge sans âme. mais l’oiseau de lumière a une ombre. le phénix est un être inquiet qui souffre d’un mal caché. chaque génération éduque la suivante, les pères enseignent les fils et qui enseigne le phénix ? le jeune oiseau ne chante pas, il n’émet qu’un fouillis de notes incohérentes, un sous-chant que les mystères de l’initiation n’ont pas visité. cette amnésie récurrente il doit l’affronter à chaque nouvelle naissance. les prêtres de baal le savaient dont on dit qu’ils avaient consigné les chants du phénix dans leurs textes sacrés. leurs manuscrits ont brûlé lors de la destruction de carthage et avec eux a disparu leur science de la divination et la prédiction du passé. polybe rapporte que scipion versa des larmes devant les flammes de la ville incendiée par son armée à la pensée du sort des grands empires auquel rome même ne saurait échapper. des dieux de carthage rien n’est demeuré, pourtant le secret de l’oiseau pourpre nous est resté, les théories platoniciennes en ont perpétué la trace. mais qui connaît vraiment ses efforts millénaires pour ne pas oublier ? la mémoire est la grande affaire du phénix. quand dans la force de l’âge il se pose près des temples et que devant le soleil son chant s’élève, ce n’est pas au ciel ou à ses dieux qu’il s’adresse mais à leurs imparfaites créatures. ses rythmes racontent ses origines, ses espérances, tout ce qu’il sait et désire transmettre à lui-même, son fils, sa descendance. la mémoire humaine est fragile, elle ne peut recueillir que des fragments de ses vastes récitatifs. il doit inlassablement répéter son chant partout sur la terre afin d’instruire les hommes. ils conserveront pour quelques générations les parcelles de son enseignement. lorsque jeune à nouveau le phénix revient voler au-dessus des temples d’uruk, memphis, ninive, babylone, ugarit, tyr, byblos, héliopolis, carthage, alexandrie, au gré des destinées humaines, il écoute leurs psaumes et leurs cantiques qui montent jusqu’à lui, il y déchiffre les cadences et les rythmes de sa musique, il réunit les lambeaux de ses souvenirs, son esprit frémit de son savoir renaissant. pendant de longues années il ne vocalise qu’en son sommeil, ce ne sont encore que des murmures mais ils font trembler ceux qui au loin entendent ces formidables babillages auxquels répondent les cris des divinités nocturnes. il faut un siècle de vie au grand palimpseste céleste pour recomposer son chant. enfin arrive le jour où il peut entamer sa mélopée et reproduire sa mémoire à travers les hommes de courte durée. le phénix sait qu'il est un revenant solitaire errant d’un âge à un autre. rien de singulier pour lui dans son existence unique et toujours recréée car tel est son destin. il est son propre fils, son héritier, son père, lui et non lui, le même et non le même, conquérant par la mort une vie éternelle. cependant il s’interroge sur son savoir. d’où lui vient cette faculté de comprendre le langage de sa musique ? comment s’assurer de l’exactitude des souvenirs retrouvés ? ses réminiscences renouvelées n’accumulent-elles pas d’imperceptibles erreurs ? si le cycle des renaissances du phénix est infini alors infini est son insensible oubli.
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c’est la circonstance solennelle où devant l’assemblée se lancent les quêtes et s’examinent leurs conclusions, un novice peut s’adresser en égal à un auditeur, seul le rituel vient tempérer ces joutes où les adversaires
s’affrontent en se servant de toutes les armes de la rhétorique. à l’approche d'une controverse la tension monte dans l’école, les conversations se font plus vives, même les plus sages deviennent impatients. qui pourrait nier les sensations procurées par le spectacle des controverses, lequel d’entre nous n’admire une critique incisive, comment s'apitoyer sur celui qu'embarrasse un argument imprévu ? arrive l’instant où tous s’assoient autour des six auditeurs dans l’hexagone central, le premier auditeur dit ces mots, lève-toi et justifie ta réduction. celui qui se dresse devant l’assemblée, crois bien qu'à cette seconde son alphabet lui sèche dans la gorge. que l’assurance de ses gestes ne t'abuse pas, même le plus arrogant appréhende le jugement de ses pairs. l’entrée en matière est toujours délicate, les regards convergent vers le justifiant, il toise ses rivaux, jette un œil vers ses alliés, il souligne l’importance du problème puis explique que personne n’en possède la clé. certains justifiants recherchent l’approbation de ceux qui écoutent. ne te laisse pas distraire, défends ta question, expose sans détours comment la quête doit la résoudre et n’hésite pas devant l’orgueil de ta position, l’ambition est indispensable à celui qui veut réduire l’information. examine chacune des difficultés que soulève ton projet, dispose tes arguments en lignes successives, entoure les points obscurs de batteries d’interrogations, protège ta méthode par des faisceaux de preuves, creuse des fossés d’ignorance que ton adversaire ne pourra combler, attire-le dans des paradoxes où sa pensée s’épuisera sans trouver d’issue.

Paragraphe 16.
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Je suis la mémoire et la prophétie
l'instant et l'éternité
le principe et la fin
je suis le hasard et je suis le sens
chaque vie naît en moi chaque vie meurt en moi
si quelqu'un arrache des pages à mes livres
il arrache les parts de vie qui sont inscrites en moi
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beaucoup de pensées sont capables de disparaître en un instant. certaines comme les opinions communes se capturent aisément. épaisses et lourdes elles n’ont pas grande valeur. même chose pour les illusions manifestes. tout un attirail de pièges sert à attraper les autres. les intentions sont des créatures agiles qui s’attirent avec des leurres. les réflexions et les jugements sont des bêtes ombrageuses qu’on fait tomber dans des embuscades. les impressions se harponnent sans ménagement. les souvenirs s’enlisent dans les sables. les rêves glissent et se déchirent quand ils se sentent retenus. les pensées les plus recherchées sont les idées rares, ces gros papillons maladroits qui se prennent avec un filet.

Paragraphe 142.
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les historiens sont des serviteurs du hasard qui espèrent trouver la raison dans la mémoire des peuples et l’arracher au temps en comblant les vides de leurs récits incomplets. les hommes aiment à les écouter parler de siècles épiques, de dynasties et des malheurs de leurs aïeux. sache que l’histoire constitue le produit le plus dangereux que l’esprit humain ait élaboré. elle les fait rêver, enivre leur pensée, engendre de faux souvenirs, entretient les vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs et de la persécution. elle justifie ce qu’on veut, elle n’enseigne rigoureusement rien puisqu’elle contient tout et donne des exemples de tout. l’histoire est une démence que nous devons prohiber

Paragraphe 57.
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