L'Ange du matinArni Thorarinsson
Métaillié noir 310p
trad.
Eric Boury, 2019/ 2012
J'ai fait il y a quelques années déjà un voyage en Islande qui m'a enthousiasmée, et l'Islandais
Jon Kalman Stefansson est l'un de mes écrivains préférés . Si bien que tout ce qui touche à l'Islande m'appelle.
Même un roman policier, moi qui ne suis pas fan du genre, mais heureusement ce n'est pas qu'un roman policier. Il y a des morts, des flics, mais surtout il y a un journaliste Einar, divorcé, père attentionné -pour se racheter un peu- d'une ado de 17 ans. Avant, il était alcoolo. Beaucoup de personnages du livre ont des problèmes d'alcool (Les Islandais ont du mal avec l'alcool.) Einar est le narrateur à la première personne. Il s'interroge naturellement sur les enquêtes qu'il mène, il est journaliste d'investigation, mais aussi sur l'Islande, ce tout petit pays de 320.000 habitants, ce qui explique peut-être pourquoi les Islandais n'ont pas vraiment de noms de famille, « une société de clans familiaux et de bandes qui ont conduit la nation à enfreindre la loi et à perdre ses repères moraux ». Je pense alors au documentaire 690 Vopnafjördur, de Sebastian Ziegler, qui m'a cassé définitivement -j'avais entendu parler de la grave crise financière et bancaire avec notamment l'affaire des Icesave, qui l'avait terrassée en 2008, amenant avec elle le chômage- l'image de cette île volcanique et des eaux tranquilles de ses lacs, en faisant voir le manque d'ouverture des Islandais qui se connaissent presque tous et veulent rester entre eux.
Je reviens au livre. Une factrice mal entendante de 32 ans a été tuée dans la rue d'un village du Nord alors qu'elle distribuait le courrier. Einar assiste à ses derniers instants. Sur un Ipod trouvé près d'elle, une seule chanson,
L'ange du matin. Avant de mourir, elle a dit que quelqu'un lui parlait sans lui parler et que sa voix venait d'une autre direction. Elle est amie avec un autre malentendant. Ils ont une passion commune qui est la lecture.
Einar, dit le Solitaire - mais en fait il collabore avec la police quand elle veut bien travailler avec lui, une fois qu'elle s'est départie de ses problèmes personnels avec le journaliste, il a ses « nounours », ses indicateurs, il fait équipe avec sa fille qui prend les photos- est rappelé du Nord à Reykjavik parce que son journal connaît des restrictions budgétaires importantes et des licenciements douloureux, et n'a plus les moyens d'entretenir deux antennes. Il a cependant eu le temps d'interroger une femme du village qui a vu le chariot postal renversé sur la chaussée et noté les voitures qui sont passées là, et le lecteur retient avec Einar la grosse jeep bleue de frimeur. Dans la capitale, la petite fille d'un nouveau Viking, ancien propriétaire du journal où travaille Einar, dont les coups financiers ont ruiné le pays, est enlevée. Mais aussi Einar trouve sa vieille voisine blessée et dont l'appartement est en grand désordre. Et sa jeune collègue, qu'il estime beaucoup, a quitté brusquement le journal pour écrire la biographie d'une rock-star très sur le déclin, qui se plaît à rappeler que rock and roll signifie « musique pour baiser ».
C'est dire que la vie d'Einar ne manque pas d'intérêts. Ni d'élans. Au journal, les relations semblent fraternelles.
L'auteur noue admirablement les intrigues, qui permettent de voir comment vivent les Islandais et comment la crise les affecte. On a l'occasion de voir le paysage, quand les nuages, la pluie, la neige, ne prennent pas toute la place. le récit est coupé des écrits de la petite séquestrée, et de la jeune collègue, lesquels commencent à ennuyer le lecteur comme Einar, mais dont tous deux finissent par voir le motif. Des bouts de pistes sont signalés ingénieusement. On apprend grâce à l'humour du narrateur et de l'auteur l'existence de l'île de Tortola, l'île des Tourterelles, l'une des îles Vierges britanniques, abri des sociétés islandaises off-shore, où une ancienne amie d'Einar, oublieuse de scrupules moraux, profite mais seule de la chaleur. On lit enfin le livre intitulé
L'Ange du matin qu'a écrit Einar, pour que le drame de la fillette de six ans, lié à la crise islandaise, ne soit pas oublié.
La lecture est prenante et enrichissante. Elle invite à lire
Les rois d'Islande d'
Einar Mar Gudmundsson,
qui a obtenu le prix Littérature-Monde 2018 au festival des
Etonnants Voyageurs.
Et on se dit que c'est ça, un bon livre, un voyage et un étonnement.