Citations sur Journal de L. (1947-1952) (94)
Ah ! Ils voulaient que j’écrive à Hum, ce gentil garçon qui s’occupait si bien de moi ? Eh bien c’était fait, ou tout comme. J’ai fini par dire que je savais peut-être où trouver Hum et j’ai appelé à l’hôtel de Moro Bay. Il n’avait pas bougé. Ce fébrile manipulateur, ce pédant-inquiet attendait de mes nouvelles comme s’il savait que je reviendrais, que j’étais obligée de revenir. Comme s’il avait prédit ma défaite. (pp.88-89)
Tu es commune mais ton destin ne l'est pas.
C'est fou comme on préfère toujours la souffrance et l'inconfort quotidien à l'inconnu et au bonheur possible.
Le calme est revenu dans les rues, dans les magasins, les maisons. L'usine d'aviation de l'armée a fermé et des familles entières sont parties du côté de Boston ou de Philadelphie. On s'est tous regardés, un peu sonnés, comme dans une salle de cinéma quand les lumières se rallument. On a remis nos manteaux, on s'est levés, puis la vie a repris.
Alors je fais semblant de dormir dans ma chambre, je suis enfin seule, j'oublie tout et j'écoute en secret les vagues et les mouettes qui crient comme des pensées qui s'envolent.
J'étouffe. L'univers s'est rétréci, il a mangé son ciel, ses continents, ses étoiles, et tous ses souvenirs.
Il y a un coyote qui hurle, accroché à la lune par une sorte de fil invisible.
Alors les milliers de mouches que j'ai dans la tête depuis quelques jours ont cessé de bourdonner. Et pendant un long moment je n'ai pensé à rien.
Et quand on arrive quelque part, dans n'importe quel motel, je cherche les animaux : des chiens, des chats, des mules, des poneys... les animaux me ressemblent, me comprennent. A eux, je peux tout dire d'un seul coup d'œil. Ils ont mon âge sauf qu'il sont vieux, très vieux. Ce sont des enfants très anciens.
Je songe qu'on sera là-bas, à perte de vue, dans des heures et des heures, dans des jours, des mois... On sera là-bas quand je serai vieille et morte.