Citations sur Mercredi (21)
Son allure lui rappela ses années d’orphelinat : des vêtements inadaptés auxquels il fallait s’accoutumer. À l’image de sa vie, reconnut-elle. Car pour grandir sans trop de heurts, elle avait dû apprendre à se fondre dans des moules non désirés, se résigner à n’en changer qu’en dernier recours.
Elle espérait que Mercredi se calme vite afin de l’éduquer, de lui inculquer le sens de l’ordre et du respect. Elle voulait lui offrir le bon exemple, le sien, fruit d’une longue expérience.
Elle savoura un moment le contact avec le corps de l’enfant, puis elle l’étendit à terre et le couvrit. Elle vidangea alors l’eau où flottait une épaisse couche de crasse mêlée de feuillages et elle s’éclipsa en toute hâte pour récupérer l’eau propre et chaude. À son retour, Mercredi gisait toujours au sol, profondément assoupi. Avec minutie, elle le savonna des pieds à la tête, puis elle s’attarda sur les cheveux. Il lui sembla impossible de les démêler sans réveiller l’enfant, ni même de les laver vraiment.
Dans l’obscurité, elle s’imagina l’œil du lambris veiller sur elle d’un air souriant. Après une longue inspiration apaisée, elle s’endormit enfin. Elle rêva d’une cabane dans un arbre magique, d’un oiseau planant au-dessus d’une falaise, d’une longue promenade dans les bois.
Elle n’incarnait rien dans les yeux de personne : son existence était si morne que personne ne daignait s’y intéresser, ne serait-ce que pour lui en inventer une plus riche.
Elle avait arrêté de faire confiance après cette trahison. Si l’homme qu’elle avait aimé pour sa prédictibilité n’était pas qui il prétendait, qu’en était-il des autres ? Ceux dont le caractère changeait en fonction du contexte, ceux dont la personnalité s’ajustait aux lieux, aux saisons, aux fréquentations, ceux dont le moindre aléa faisait dévier la trajectoire : comment se sentir en sécurité en leur compagnie ? Comment être sûre de qui ils étaient, de ce qu’ils cachaient ? Comment les connaître et apprendre à s’y fier ?
Éric. L’homme avec lequel elle avait mis fin à son célibat, à sa solitude. L’homme avec lequel elle avait partagé mille et un jours de sa vie. L’homme avec lequel elle avait acheté un appartement, des meubles, de la vaisselle, de la literie. L’homme avec lequel elle avait envisagé d’adopter un chien, de se marier, de vieillir, de fonder une famille.
Éric. L’homme qui avait déjà une autre famille. L’homme qui menait une double vie mais dont celle avec Liz n’était que la seconde. L’homme qui lui avait menti sur tout, pendant près de trois ans. L’homme qui ne s’appelait même pas Éric.
Résolue à évacuer toute mauvaise pensée de son esprit, elle envisagea de marcher jusqu’au lac et d’en faire le tour, comme elle l’entreprenait un samedi sur quatre. Elle en oublia vite l’idée : ses jambes et son dos étaient courbaturés des mésaventures de la veille et son talon lancinait des séquelles de la casse de son plat. Moins de cent mètres plus loin, dans un profond soupir, elle s’échoua sur un banc face au maigre gazon de fin d’hiver.
Les visages de ses cavaliers d’antan demeuraient insaisissables, même ceux des quelques audacieux qui avaient tout tenté pour la séduire. C’est qu’elle avait toujours coupé court à leurs ardeurs ; non par manque d’envie, mais par crainte. Par crainte de revivre le même traumatisme qu’avec Éric…
Et aujourd’hui, elle savait que le temps de ces rencontres était révolu. Non pas qu’elle soit trop vieille. Mais elle se sentait trop vieille. L’envie de suivre un rôle dans un jeu à deux n’était plus là.
Elle détestait être traitée comme une enfant et recevoir une aide non sollicitée : elle ne s’estimait ni faible ni malade au point de consulter un coach ou un psy. Encore moins d’humeur à tenir compte des commentaires naïfs d’un simple vendeur de journaux.
Elle se força néanmoins à sourire, non par politesse envers l’importun mais pour se préparer à sa soirée en réapprenant à feindre l’allégresse.