Décembre 1943. Draps de lin frais. Hanna s'étirait dans un lit à l'hôtel. Elle profitait de l'aube d'hiver, un des plus froids du siècle.
Sept heures sonnèrent du côté de l'Opéra. Les occupants allemands contrôlaient le temps et l'espace. Seuls les cadrans solaires leur échappaient.
Horloges, pendules, cloches des églises s'alignaient sur l'Heure de Berlin.
Un bijoutier de Besançon avait placé une horloge comtoise à lheure anglaise dans sa vitrine. On le condamna à une amende, puis, pour récidive, à deux mois de prison.
D'autres protestataires gardaient leur montre à l'heure de Londres dans leur gousset.
Ils résistaient.
En décembre 1943, Hanna Ollenstein, dite Suzanne Froment, agent Martin, matricule H22, réfugiée allemande, communiste, juive et résistante, rencontra le capitaine Rainer Wunder dans le couloir d'un wagon de première classe du Rouen-Paris de 17h50 bondé et en retard.
Hanna-Suzanne portait son unique robe sous son imperméable. Elle ne possédait pas de manteau. L'officier était en uniforme, tenue repassée, longues bottes cirées.
Ces deux-là n'auraient pas dû se croiser. Les civils, en principe, ne circulaient pas dans les mêmes wagons que les militaires allemands.
Les corps d'armée chancelants de la Wehrmacht affrontaient alors une contre-offensive soviétique.
En mai 1938, Edouard Daladier, président du Conseil, avait annoncé: "Le nombre sans cesse croissant d'étrangers, résidant en France, impose au gouvernement.. d'édicter certaines mesures.. économie générale du pays.. protection de l'ordre public."
Déclaration suivie d'effets: le 21 janvier 1939, création par décret du centre de rassemblement d'étrangers de Rieucros, en Lozère, près de Mende, destiné à héberger des étrangers de toutes les nationalités indésirables en France et qui ne peuvent déférer à la mesure d'éloignement dont ils ont fait l'objet."
Ces premiers internements concernaient les étrangers de sexe masculin politiquement suspects.
Officiellement les femmes avaient été épargnées.
Mais des "suspectes au point de vue national" furent arrêtées à Paris dès la fin août 1939.
_ j'ai eu tort, me confiera-t-il, d'accepter l'Inspection;
J'aimais enseigner. Imaginez l'ennui. On débarque à Carpentras ou Alençon faussement impromptu.
Il faut dîner avec les femmes du proviseur et du censeur.
On se croit important.
On distribue des notes une fois tous les cinq ans et, en une heure d'inspection, on casse la carrière d'un jeune prof...
Elle avait avorté en 1941. Ordre du Parti. Rakman avait déniché non sans mal un médecin à Limoges. Ce toubib était inquiet. Pensez, une étrangère! Il n'avait pas pris Hanna pour une Alsacienne.
L'avortement était un crime sous Vichy. Une avorteuse avait été exécutée;
Le médecin exigea dix mille francs.
Plus de la moitié des officiers et 75% des sous-officiers autour de moi n'ont plus d'opinion sur la guerre. Un désir: qu'elle finisse.
Il scribouillait des poèmes en français et en allemand, dédiés à Suzanne:
" Meine Seele wandert sich in der Wüste, verlassen, vergessen.
Dornen hinden mich an der Flucht;
Ich muss weg, hin zu Dir,
Hab Geduld, Geduld,
Die Wolken tragen dich zur mir,
dann gleiten wir gemeinsam über die Schmerzen hinweg
in die Unendlichkeit.
Solange die Wurzeln nicht vertrocknen, die Träne den
Blick nicht trüben, bleibt Hoffnung..."
Mon âme erre dans le désert, abandonnée, oubliée.
Des épines l'empêchent de fuir..