A présent, lorsque que Loss prononçait le nom d'Aélita, la dualité de sa signification le troublait : la tristesse de la première syllabe - "AE", ce qui veut dire "que l'on voit pour la dernière fois" ; et la sensation de la lumière argentée de "LITA" - ce qui signifie "lumière de l'étoile". Aélita - " lumière de l'étoile que l'on voit pour la dernière fois". Le langage du monde nouveau coulait en matière impalpable jusqu'au fond de la conscience.
Je ne sais pas ce qu'il y a après la mort. Mais ici-bas, tant que je suis encore en vie, il me faut savoir si je suis une charogne ou un homme.
- Le gros bêta, il se fâche, dit Goussev, et il cria au Martien : "Cesse donc de hurler, espèce d'énergumène. Ramène ta fraise, on ne te fera pas de mal..."
- Alexéi Ivanovitch, cessez de jurer, il ne comprend pas le russe.
Longtemps, Loss resta sous le porche. Au dessus de la ville endormie, Mars étincelait d'une lumière de diamant - tantôt bleue, tantôt sanglante. Un monde nouveau, merveilleux, pensait Loss, peut-être éteint depuis longtemps ou bien fantastique, florissant et parfait...Et, de là-bas, je regarderai comme cette nuit mon étoile natale parmi les autres étoiles. Je me souviendrai de Katia et de ses yeux et de la tombe où elle est couchée...Et ma peine sera légère...
- Twenty-three, dit-il enfin, ce qui devait signifier : "Que le diable m'emporte avec toutes mes tripes."
La poussière de la vie flotte dans l'univers. Les mêmes spores se déposent sur Mars, sur la Terre et sur les myriades d'étoiles qui se refroidissent. La vie apparaît partout, et partout, les êtres anthropomorphes règnent sur tout ce qui vit. On ne peut créer un être plus parfait que l'homme.
Loss eut à peine le temps de déboutonner son col en se brisant les ongles, qu'il sentit son coeur s'arrêter.
Non, il faut tomber et s'épanouir, s'éveiller à la soif d'aimer, pour se fondre, s'oublier, ne plus être une graine solitaire. Et cet éveil de brève durée, pour se séparer, mourir et poursuivre son vol dans l'éternité, comme les cristaux de glace.
Là-bas non plus, au-delà de la Terre, au-delà de la mort, impossible d'échapper à soi-même.
Ce n'est pas la mort que je crains, mais la solitude, cette solitude sans issue dans les ténèbres éternelles.