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Critique de PatriceG


Confession de Léon Tolstoï

Graal tolstoïen

Confession, texte de 120 pages écrit en 1879, censuré, circulant dès 1882 sous le manteau en pages polycopiées, est un vrai pavé dans la mare. Il paraîtra à Genève en 1884 sous le titre Confession du comte L.N. Tolstoï. Sorte d'autobiographie introspective où il livre sa lassitude d'écrire en des termes destructeurs. Il y voit de la vanité, alors qu'ici-bas, le peuple, au demeurant misérable, vit dans une forme de simplicité divine auquel il aspire sans pouvoir l'atteindre. C'est son problème, enfin son raisonnement le pousse à exprimer les choses ainsi. Ce n'est donc pas un livre de souvenirs vu son essence métaphysique même s'il tourne un regard sur sa vie passée. Il n'est pas loin du doute existentiel qui envahit Lévine dans Anna Karénine quelques années plus tôt, son alter égo. En Russie, ce livre interdit créera d'importants remous : Tolstoï est alors le grand écrivain incontesté de la terre russe. Tourgueniev et Dostoïevski qui ont universalisé la littérature russe avec lui sont morts. Il n'est pas en grande forme, crise morale s'entend ; des problèmes naissent dans son couple. Ses écrits sont désormais religieux et didactiques : il se radicalise. Il vit désormais une partie de l'année à Moscou pour l'éducation des enfants, va participer au recensement de la ville , choisira les quartiers les plus pourris pour mieux s'imprégner de la misère, dont la fameuse Khitrovka : c'est pas mal pour un riche comte tout auréolé de succès littéraires planétaires !..

Le mieux pour traduire l'état d'esprit de l'écrivain qui prévaut à la conception de cet ouvrage est encore d'en citer quelques extraits :
"Notre véritable raisonnement intime était que nous voulions recevoir le plus d'argent et le plus de louanges possible. Pour atteindre ce but, nous ne savions rien faire d'autre que d'écrire des bouquins et des journaux. Et c'est ce que nous faisions. (..) Bien que, pendant tous ces derniers quinze ans, j'aie considéré le fait d'écrire comme une baliverne, je n'en ai pas moins continué à le faire. J'avais goûté à la tentation de l'écriture, à la tentation d'une énorme récompense financière et d'un concert d'applaudissements pour un travail dérisoire, et je m'y adonnais comme à un moyen d'améliorer ma situation matérielle et d'étouffer en moi toute question sur le sens de ma vie et de la vie en général."

C'est une oeuvre bouleversante, une autocritique sans concession de sa vie à laquelle on n'est pas habitué avec l'auteur russe. La mysticité l'emporte, alors qu'elle était jusque là sous jacente, elle devient prééminente, à livre ouvert, son interrogation sur la foi, son rapport à Dieu est à son paroxysme.. La nouveauté est vraiment qu'il cesse là de tourner autour du mystère de la vie, voire de son incompréhension pour tenter résolument une explication rationnelle ("Tantôt je vérifiais dans mon esprit tous les arguments de Kant et de Schopenhauer sur l'impossibilité de prouver l'existence de Dieu, tantôt je me mettais à les réfuter..")

Livre majeur quand on prétend à la connaissance de l'écrivain et de son oeuvre. Nous sommes là à un confluent de la pensée tolstoïenne dont on a trop dit qu'il y avait crise, je pense plutôt à la personnalité de quelqu'un de tourmenté qu'il est sans forcément oser trop le dire déjà depuis la Matinée d'un seigneur par exemple. Comme si à chaque grand moment de son existence, il se heurte dans sa quête d'absolu à une dimension supérieure en en concevant toute la vanité de ses efforts, mais tout se passe désormais en majuscules. Curieux paradoxe d'un homme qui semble aux abois alors qu'il est quelque part un maître du monde. Luba Jurgenson, brillante analyste littéraire, parle de "celui où le moi se construit face à Dieu et où le Dieu de Tolstoï se construit face au moi".

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