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EAN : 9782266234306
984 pages
Pocket (06/12/2012)
4.27/5   4137 notes
Résumé :
En visite à Moscou chez son frère Stépan Oblonski, la jeune et belle Anna, femme d'Alexis Karénine, haut fonctionnaire pétersbourgeois, et mère d'un garçon de huit ans, rencontre à sa descente du train le comte Alexeï Vronski. Bientôt, leur liaison éclate au grand jour à Saint-Pétersbourg. Enceinte, la jeune femme est sur le point de mourir en couches. Karénine lui accorde son pardon, tandis que Vronski tente de se suicider. Rétablie, elle quitte son mari et son enf... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (353) Voir plus Ajouter une critique
4,27

sur 4137 notes
Splendide, splendide, ô combien splendide roman ! Mille mercis Monsieur Tolstoï pour ce bijou-là.

Il est difficile de parler de ce bel ouvrage sans dévoiler tout ou partie de l'intrigue. Disons que le destin de deux couples principalement y est développé même si l'on parle fréquemment d'un troisième qui fait le lien entre les deux précédents.

À cet égard, la construction du roman est remarquable ; jugez plutôt : d'un côté, le premier pilier est bien évidemment le personnage délicieusement complexe d'Anna, la femme d'Alexis Karénine. le frère d'Anna, Stepan Oblonski est marié de Dolly. L'une des soeurs de Dolly est l'épouse de Constantin Lévine, le second pilier du roman.

Ce faisant, à partir de ces deux personnages centraux qui ne se rencontrent quasiment jamais, Lév Tolstoï parvient à faire s'arquer une voûte constituée par les relations et les réactions psychologiques des différents membres des couples et de la sorte à faire le portrait de tout un monde ainsi qu'à balayer une diversité psychologique étonnante qui donne toute son épaisseur, son intérêt et sa consistance à l'édifice.

L'incipit du roman parle de lui-même "Les familles heureuses se ressemblent toutes; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à sa façon." Ne m'en veuillez pas si je vous retire la joie de découvrir que celui d'Anna Karénine est de loin le couple le plus malheureux

Les couples sont aristocratiques de vieille noblesse russe en fin de XIXème siècle (c'est-à-dire que l'écrivain parlait de son époque au moment où il écrivait le roman). Les vices et les merveilles de cette vie qui n'existe plus guère de nos jours que chez les très grands patrons de très grandes entreprises et chez certains chefs d'états sont parfaitement peints avec leurs brillances et surtout, leurs vacuités et hypocrisies.

Le clivage qui existait entre cette société et le peuple est très bien illustré, notamment dans les yeux de Constantin Levine, alias Tolstoï lui-même, (concernant la question agricole, du progressiste Levine en butte avec l'épaisse conception traditionnelle réfractaire au changement, voir le parallèle français avec le personnage de Hourdequin dans La Terre de Zola) clivage qui devait conduire quelques décennies plus tard à la révolution russe de 1917.

La simplicité et la vérité du style employé par l'auteur donne toute sa force et sa grandeur à cette oeuvre monumentale, qui traverse les époques sans ternir. Ne soyez pas effrayés par l'épaisseur du livre qui se lit très facilement et dont la lecture est rendue très agréable par le découpage en minuscules chapitres. Les scènes rurales sont pleines de vérité et de vécu (la chasse à la bécassine, le fauchage à la faux, le négoce du bois...) et les scènes urbaines non moins pleines de vérité et de vécu sondent les désirs et les entraves sociales magistralement.

Mon passage favori restera celui qui est le plus autobiographique de tous, la scène de la déclaration codée entre Levine et Kitty. Un instant d'une grâce infinie et difficilement égalable.
Il peut paraître niais de préciser qu'il existe de nombreux parallèles entre Anna Karénine et l'autre grand ouvrage de l'auteur, La Guerre et La Paix, mais peu importe, je le fais.

L'un et l'autre mélangent habilement autobiographie et fiction avec un réalisme surprenant. Comment ne pas reconnaître dans Constantin Levine le Pierre Bézoukhov de Guerre et Paix ? Idem entre Alexis Vronski et André Bolkonsky. La chose se complique un peu avec les femmes car il semble bien que la belle Natacha Rostov de la Guerre et La Paix soit la génitrice tant d'Anna Karénine que de Kitty Stcherbatski.

Le personnage d'Anna est forcément plus complexe car on y décèle aussi des traits d'Hélène Bézoukhov ainsi que de personnages authentiques comme Anna Pirogova, l'héroïne involontaire du fait divers qui inspira au tout début Tolstoï et bien sûr de Maria Alexandrovna Pouchkina, la première fille de Pouchkine qui frappa tant l'imaginaire de l'auteur. de même, il y a probablement un peu d'Anatole Kouraguine dans la vie dissolue de Stepan Oblonski.

On retrouve aussi certains points communs sur les grands chevaux de bataille de l'auteur, imputables au côté religieux de Tolstoï, notamment en ce qui concerne la question du pardon chrétien. Ici, Alexis Karénine accorde son pardon à Anna et Vronski exactement comme André Bolkonski l'accorde sur le champ de bataille de Borodino à Anatole Kouraguine qui lui avait ravi Natacha Rostov.

De même, le personnage de Marie Bolkonski, soeur d'André, pleine d'abnégation et de piété, n'est pas sans rappeler ici celui de Dolly, la femme du volage Stepan Oblonski, frère d'Anna Karénine. L'une comme l'autre trouvent leur raison d'être dans le pardon inspiré par la religion.

Bref, Anna Karénine, c'est une sorte de nouvelle mouture de la Guerre et La Paix dépouillée de sa gangue de batailles napoléoniennes. L'auteur, parti d'un fait divers, a fait épaissir sa sauce romanesque au point de faire oublier le superbe morceau de viande qu'elle était sensée accompagner. Cette sauce c'est la passion amoureuse. Ce qu'elle engendre de folies, de joies indicibles, d'irrévérences à l'étiquette sociale... de douleurs aussi.

Si je poursuis cette comparaison culinaire, on pourrait affirmer que le morceau de viande est toute cette société russe, une certaine société que Tolstoï nous fait toucher du doigt. Si Anna Karénine est le personnage principal du roman, c'est en ce sens que c'est elle qui cristallise tout ce que représente la fameuse sauce aux senteurs et aux épices si particulières. Cette sauce de la passion amoureuse pourrait accompagner d'autres plats de viande, d'autres types de sociétés, il n'empêche que sa recette serait la même, aussi forte, aussi relevée... et aussi amère par moments.

Et c'est la raison pour laquelle, cette oeuvre ne vaut pas tant pour son plat de viande principal, l'aristocratie russe de la seconde moitié du XIXème siècle, que pour sa sauce, qui elle touche à l'universel, qui elle touche à ce qui est le plus constitutif de l'identité humaine, qui n'a pas d'âge et pas de lieu.

J'arrive à la fin de cette critique et pourtant, j'ai l'impression d'être passée complètement à côté du roman et de sa signification profonde. C'est Milan Kundera qui m'a fait en prendre conscience. Et si, tout bien pesé, le sujet du roman était le pardon ? Revenons un instant sur ce qu'écrit Kundera dans L'Art du roman :

« le romancier n'est le porte-parole de personne et je vais pousser cette affirmation jusqu'à dire qu'il n'est même pas le porte-parole de ses propres idées. Quand Tolstoï a esquissé la première variante d'Anna Karénine, Anna était une femme très antipathique et sa fin tragique n'était que justifiée et méritée. La version définitive du roman est bien différente, mais je ne crois pas que Tolstoï ait changé entre-temps ses idées morales, je dirais plutôt que, pendant l'écriture, il écoutait une autre voix que celle de sa conviction morale personnelle. Il écoutait ce que j'aimerais appeler la sagesse du roman. Tous les vrais romanciers sont à l'écoute de cette sagesse supra-personnelle, ce qui explique que les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs oeuvres devraient changer de métier. »

Après coup, et sans être totalement d'accord sur ce que dit Kundera à propos de ce roman en particulier, j'en suis venue à me demander si finalement le sujet d'Anna Karénine n'était pas le pardon. Non pas le pardon des personnages entre eux, mais le pardon de Tolstoï lui-même à son personnage d'Anna. Il ne l'aimait pas car adultère — ce qui heurtait sa puissante foi chrétienne — et finalement, au même titre que le personnage d'André dans La Guerre et la Paix qui, sur le champ de bataille, pardonne à Anatole Kouraguine, Léon Tolstoï, en cours d'écriture, s'est mis à pardonner à Anna ce qu'elle est. Je vous laisse méditer là-dessus…

Quoi qu'il en soit, voici un roman à lire et à savourer comme un pur délice, un vrai, vrai monument de la littérature du XIXème siècle. L'auteur y déploie avec toute sa maestria, tout son savoir-faire dans des phrases qui jalonnent le pourtour de l'histoire littéraire mondiale, et pas seulement russe, car, vous l'avez compris, Lév Tolstoï est universel. Personnellement je place ce superbe roman dans mon top 10, peut-être même bien plus haut, qui sait ? mais ce n'est bien sûr que mon avis, un parmi tant d'autres, autant dire, pas grand-chose.
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Comme je suis contente d'avoir découvert cette petite merveille de décryptage de la nature et des passions humaines maintenant, et pas dans ma période 'classiques russes' autour de 20 ans ! A l'époque, j'y avais trouvé une grande sérénité, notamment chez Dostoievski. Aujourd'hui, question de maturité ou simplement d'oeuvre, j'y vois tout autre chose : une peinture magnifique, à la fois belle et tragique, de la condition humaine, beaucoup d'ironie et encore plus de finesse dans l'analyse psychologique. Bref, un chef d'oeuvre...

Comme le titre l'indique, on suit l'histoire d'Anna Karenine, la femme d'un haut dignitaire russe; elle est belle, forte, joyeuse, en un mot rayonnante... jusqu'à ce qu'elle rencontre la passion, ses complications et ses compromissions. Comme le titre ne l'indique pas, on observe aussi toute une galerie de portraits : son amant Vronski, tantôt séducteur exalté, tantôt homme responsable et avisé; son mari Karenine, tout confit dans sa respectabilité mais touchant par ses souffrances et sa dignité; Levine, véritable double littéraire de Tolstoi selon la notice, le torturé, le pragmatique et l'amoureux; Kitty, la femme simple, douce et bonne, après avoir été une petite écervelée; le parasite débonnaire mais bien intentionné Oblonski; et tant d'autres qui nous mèneront dans les salons mondains et quelque peu désoeuvrés de Saint-Petersbourg, les cercles révolutionnaires, les assemblées de district ou au fond de la campagne russe...

Ce qui est extraordinaire (ou terrible, selon le point de vue qu'on retient), c'est qu'on se retrouve vraiment dans les personnages et les situations. Je ne suis pas une aristocrate russe du XIXe siècle engagée dans une liaison passionnée... pourtant je la comprends, notamment dans ses paradoxes, ses doutes constants, son incapacité à arrêter l'engrenage des disputes, ses interprétations faussées par l'angoisse, son exaltation, son amour absolu. Bien plus que de la femme adultère, c'est pour moi l'incarnation de la femme amoureuse : si elle avait vécu aujourd'hui, avec des possibilités de divorce et d'activité professionnelle pour les femmes, aurait-elle pu aimer Vronski simplement et tranquillement ? Je n'en suis pas sûre... et elle restera une héroïne tragique à laquelle je ne voudrais surtout pas m'identifier !

Je voudrais terminer par une comparaison : on la rapproche souvent de Madame Bovary, mais Anna Karenine m'a plutôt fait penser à Belle du Seigneur... en plus vivant, plus mordant et paradoxalement plus moderne !
A défaut de vouloir ressembler à l'héroïne, je suis emballée par ma lecture, ce qui explique cette critique probablement un peu confuse...
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Quel trouble m'envahit à l'heure d'écrire ce billet !

J'ai lu le premier tome cet été alors que je voyageais en Russie, notamment à Moscou où j'ai pu visiter la maison où Tolstoï s'était retiré avec sa famille, ayant atteint la cinquantaine. Je n'aurais pu souhaiter meilleures conditions pour me plonger dans ce monument de la littérature que je pensais naïvement connaître mais dont, en réalité, on ne m'avait révélé que la partie émergée. Je viens d'achever le second tome et mon émotion est grande. « Anna Karénine » est une grande fresque romanesque comme seuls les Russes savent en écrire, c'est-à-dire en y mêlant de manière totalement inextricable toute la passion, la poésie et le spleen de l'âme slave.

Anna Karénine, bien qu'elle donne son nom au roman, n'est en rien son pivot, c'est du moins mon point de vue. « Anna Karénine » trace la destinée de trois couples : Anna et Vronski, Kitty et Lévine, Stépane et Dolly. Les deux premiers de ces couples forment comme la double hélice d'une chaîne d'ADN unie grâce au troisième. Ils sont parfaitement indissociables les uns des autres ; leurs destinées sont étroitement liées, que ce soit par les liens du sang, les relations sociales ou les sentiments. Parce qu'ils sont trinitaires et indivisibles, ces trois couples vont évoluer ensemble, compter les uns sur les autres et se « nourrir » des uns des autres ; c'est pourquoi Tolstoï a décidé de les aborder ensemble, de front, dans une intermittence narrative ponctuée de croisées de chemins. Ce choix peut, je le conçois, perturber le lecteur en semblant alourdir sa lecture.

La lecture d'une telle oeuvre, je vais être parfaitement honnête, peut quelquefois sembler bien poussive quand l'intérêt de l'auteur s'attache aux personnages qui suscitent chez le lecteur le moins d'intérêt. Mais il faut pardonner au grand auteur qu'est Tolstoï et chercher à comprendre, à assimiler et à accepter qu'un auteur russe ne peut pas s'empêcher d'écrire non pas un roman sur la vie de quelques personnages russes mais un roman sur la société russe dans laquelle évoluent quelques personnages. La Russie est toujours le coeur d'un roman russe ; elle en est toujours le personnage principal et l'on retrouvera ces mêmes fausses digressions et vrais plaidoyers sur l'économie, la politique et les cultures russes chez Dostoievski, Pouchkine, Tourgeniev ou Pasternak, pour ne citer quelques uns de ces grands hommes de lettres qui ont tenté de coucher sur le papier un peu de l'âme russe, celle-la même qui échappe depuis des siècles avec ténacité à tout carcan identitaire, résolue à vivre uniquement dans le coeur des Slaves, notamment par leur folklore et leur poésie.

Revenons à nos couples et passons rapidement sur le synopsis. Anna Karénine est une femme du monde, de la haute société, mariée sans amour et mère de Sérioja. Cette femme, jeune encore, va connaître une grande passion auprès du comte Alexei Vronski, homme riche, libre de toute attache, passionné et lui aussi très épris. Lévine, quant à lui, est un « gentleman farmer » qui n'aime pas Moscou, un vrai rat des champs. Amoureux de la jeune et jolie Kitty, elle-même courtisée par Vronski avant qu'il ne s'éprenne d'Anna, Lévine est un homme torturé, perpétuellement en quête d'idéal, voulant vivre en équilibre et en toute justice avec le monde qui l'entoure mais se connaissant si mal et connaissant l'existence si superficiellement qu'il est emprunté et gauche dans quasiment toutes ses entreprises et est incapable de gérer ses émotions. Stépane, enfin, frère d'Anna et beau-frère de Kitty, grand ami de Lévine, heureux caractère que rien ne semble pouvoir décourager, éternel optimiste, est marié à Dolly, une femme patiente et résignée et dont l'affection pour son époux ne se mesure qu'à l'aune de sa dépendance sociale.

Bien que mon personnage favori soit loin d'être Anna ou Lévine mais bien Stépane (Stiva) sur qui je pourrais développer une thèse dont l'introduction seule aurait le don de vous faire bâiller, je vais seulement vous parler d'Anna. Combien exaspérante et égoïste peut paraître cette héroïne et pourtant, quel courage et quelle beauté renferme son âme. Courage du choix dramatique qui change sa vie, qui la plonge dans une situation désespérante ; beauté de l'amour qu'elle porte à celui auquel elle sacrifie toute son existence.

Anna est généralement jugée égoïste et cruelle. Moi non plus, à la base, je n'ai pas d'affection particulière pour elle et pourtant, me remettant dans le contexte de cette haute société russe de la fin du XIXème siècle, toute pétrie des codes de conduite occidentaux, je ne peux qu'être admirative du courage qu'il lui aura fallu pour se séparer de son époux, renonçant ainsi à sa position sociale, se condamnant à une vie de recluse, se forgeant une réputation indélébile de « femme de mauvaises moeurs ». Traitée en pestiférée par ses cercles, Anna aura peu à peu le sentiment déprimant d'avoir tout donné pour n'être finalement que la dupe « d'un amour qui finit et laisse place à la haine ». Rejetée, doutant de tout et de tous, à commencer par elle-même, Anna, tel un oiseau au ramage sublime, aura voulu prendre son envol, aura cru à la liberté pour choir lamentablement, liée à la réalité de sa condition par le fil invisible de la morale bourgeoise. En un temps où renoncer à son enfant ne signifiait pas convenir d'une garde alternée mais véritablement abandonner la chair de sa chair, en un temps où la bienséance imposait le diktat permanent de l'hypocrisie, en un temps où la femme ne pouvait agir que dans le cadre de la dépendance à autrui, mari ou parents, Anna a osé rêver qu'elle pouvait vivre pour elle-même et se réaliser. Sa vie fut un leurre.

L'histoire d'Anna, comme celle de Lévine, comme celle de Dolly, comme celle de tous les protagonistes de ce magnifique roman, se résume à une quête. Quête du bonheur, mirage parmi les mirages, mal défini, indéfinissable et aussi difficile à atteindre qu'à se le représenter. D'espérances en désillusions, de jouissances en épreuves, d'amours en désamours et de grandeurs en décadences.
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Anna Karénine, voilà un titre bien trompeur. On présente souvent le livre de Tolstoï comme le roman de l'adultère, en le mettant en parallèle avec Emma Bovary de Flaubert. Bien plus qu'un roman sur l'infidélité d'Anna Karénine, le lecteur voit s'étaler devant lui une véritable fresque dôtée d'un souffle romanesque admirable. Tolstoï décrit la Russie telle qu'elle lui apparaît en cette fin de 19ème siècle, ainsi se mêlent les paysages immenses et rudes des campagnes où le labeur agricole use bon nombre de paysans, et les villes telles que Moscou et Saint-Petersbourg hauts-lieux des mondains où l'apparence et le faste sont de mises.
L'auteur insiste entre ces deux entités que sont la ville et la campagne, deux mondes distincts...même si au final, tromperies et désillusions se rejoignent. On assiste alors tour à tour à des scènes de chasse et des scènes de bal, à un riche mariage puis à une misérable agonie, à l'existence précaire des gens qui vivent de la terre et celle cliquante des nobles qui vivent dans le luxe de leurs grandes maisons.
Anna Karénine trompe son mari ; un homme plus âgé qu'elle, haut fonctionnaire, distant, froid, et montrant peu d'intérêt pour leur fils, avec un jeune officier le comte de Vronski. Anna est une femme très séduisante, elle donne l'image de quelqu'un de généreux, d'une mère parfaite, d'une bonne amie. Ce personnage évoluera pourtant psychologiquement au fil de sa liaison ; terriblement jalouse, elle en viendra à négliger ses propres enfants pour ne penser qu'à elle et son amour. Ses tourments guideront ses pas vers la mort, inéluctable.
Une seconde intrigue se déroule parallèlement à celle d'Anna et Vronski ; celle de Lévine et Kitty. Lévine apparaît au lecteur comme une sorte de double de Tolstoï, homme de la terre, propriétaire d'une exploitation agricole et désireux d'améliorer la vie des paysans, humaniste, humble, cultivé, esthète, fuyant les mondanités... en épousant Kitty des questions existentielles l'assaillent ; il part à la quête du sens de la vie, de la morale et de la religion. Je voulais d'ailleurs évoquer ici un chapitre qui m'a bouleversée ; le seul chapitre affublé d'un titre : La mort. Lévine assiste impuissant à l'agonie de son frère. Ce passage est puissant et d'un réalisme incroyable – en faisant quelques recherches, j'ai appris que l'auteur avait perdu son frère dans des circonstances semblables – Ainsi commencent les interrogations de Lévine sur la vie et la mort.
Je me rends compte à quel point il est difficile de retranscrire mes impressions de lecture sur ce roman. Ce que je retiendrai en particulier, c'est l'habileté avec laquelle Tolstoï met en parallèle deux intrigues à travers deux mariages distincts : une vie de famille qui tend vers un idéal, une félicité et une liaison condamnable dans une société perverse et cynique. Cependant, malgré l'opposition marquée entre Anna et Lévine ce sont l'un et l'autre des êtres sensibles profondément avides de liberté et de vérité.
Lien : http://lesmotsdelafin.wordpr..
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Anna Karénine, n'est-ce pas le plus formidable roman d'amour jamais écrit?
L'amour humain y est en effet exposé sous toutes les formes possibles et imaginables: l'amour adultère, l'amour fidèle, l'amour d'enfance, l'amour comme transaction commerciale, l'amour entre frères et soeurs, entre amiEs, la compassion, l'amour de Dieu, du travail, etc., et, à chaque fois, sans contradiction, de manière sublime et touchante.
Évidemment, on ne s'en sortirait pas si l'ensemble de ces possibilités d'amour n'était pas organisé autour des histoires que vont vivre, presque complètement en parallèle, deux personnages principaux : Anna Karénine et Constantin Levine.
Lorsqu'on sait que les premières ébauches de ce livre ne concernaient qu'Anna, on peut s'interroger sur la pertinence d'introduire dans le roman d'Anna la relation de Constantin. On peut certainement tenter d'expliquer cet ajout en la prenant pour une irrésistible pulsion narcissique chez Tolstoï, qui n'aurait pu résister à la tentation d'y introduire un alter ego de sa personne (car Constantin partage énormément avec Tolstoï, autant au niveau du caractère que des préoccupations politiques, morales et religieuses). Mais à mon avis, les deux histoires, écrites dans des romans séparés, ne seraient pas à moitié aussi passionnantes qu'elles le sont lorsqu'elles sont réunies en un seul bouquin de manière à être mises en contraste l'une avec l'autre.
L'effet de contraste entre les existences de ces deux personnages, dont les positions existentielles sont exactement identiques à celles qu'on retrouve dans les deux premières parties du livre « Ou bien...ou bien... » (Enter...Ellen...) de Kierkegaard, permet en effet de bien mettre en valeur les différences qu'on peut trouver dans chacune d'elles. le piquant de la relation entre Anna et Vronski, avec ses douleurs déchirantes, destructrices, mais aussi ses extases sublimes rehausse la tendre douceur de l'histoire entre Constantin et Kitty et vice versa.
De plus, l'ajout de l'histoire de Levine permet à Tolstoï d'aborder des possibilités d'amour beaucoup plus profondes et diverses que la relation d'Anna car, si toutes deux vivent des difficultés, alors que l'existence d'Anna tend à se fermer sur elle-même, à se rapetisser de plus en plus jusqu'à s'annihiler, celle de Constantin prend constamment de l'ampleur vers son épanouissement et s'ouvre de plus en plus amplement à l'autre.
Bref, voilà incontestablement un des livres que j'ai le plus aimé lire au cours de ma vie. C'est aussi (avec La nouvelle Héloïse) celui que j'aime le plus offrir à mes amies qui apprécient la lecture et qui ne craignent pas de se frotter la tête sur de très grosses briques.
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Tout d'abord il en fut offensé; mais aussitôt il sentit qu'elle ne pouvait pas l'offenser, car elle et lui ne faisaient qu'un. Il éprouva tout d'abord un sentiment semblable à celui qu'éprouve un homme qui, recevant un coup formidable dans le dos, se retourne plein de colère pour voir qui l'a frappé et s'aperçoit alors qu'il s'est donné ce coup lui-même, par hasard, que, par conséquent, il n'a point à se fâcher, qu'il ne lui reste qu'à supporter son mal et à le guérir.
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A neuf ans, ce n'était qu'un enfant, mais il connaissait son âme, elle lui était chère et il la défendait, comme la paupière protège l'oeil, contre tous ceux qui voulaient y pénétrer sans la clef de l'amour.
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L’éternelle erreur des gens qui s’imaginent que le bonheur consiste dans l’accomplissement de leurs souhaits lui apparut alors dans toute sa vanité.
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Rester sous le coup d'une accusation injuste, c'était pénible; mais faire de la peine à sa femme en se justifiant, c'était pire.
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Comme à chaque rendez-vous, elle comparait l’impression présente qu’il lui causait à l’image de lui qu’elle s’était retracée en imagination, image infiniment supérieure à la réalité.
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En lui, un penseur et un artiste ont toujours cohabite, sinon rivalise et bataille.  Ce tiraillement continu entre convictions theoriques et experience esthetique prendra toute sa dimension durant les trente dernieres annees de sa vie. Portrait de Tolstoï puissant romancier, auteur de la Guerre et la Paix et d'Anna Karénine.
Tolstoï est également présent dans la bibliothèque des collections de Lire Magazine Littéraire (https://www.lire.fr/products/les-collections-n-31-leon-tolstoi).
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