Citations sur Moi et le Diable (19)
Je ne recyclais jamais mes ordures. Même si je n'avais pas su que le tout allait finir dans la même décharge, je ne les aurais pas recyclées. Le monde est flingué, et ce de façon irrémédiable. Recycler ses ordures, ça revient à enlever les peluches du col d'un cadavre allongé dans son cercueil.
Pourquoi étaient-ils venus là ? Parce qu'ils avaient lu que c'était le lieu où il fallait vivre. L'école avait bonne réputation. Les prix de l'immobilier montaient. Le quartier était sûr. C'était un bon investissement. L'endroit idéal pour élever des enfants. Alors ils sont venus, ils ont envahi l'école, créé une bulle immobilière, attiré la délinquance, provoqué l'inflation, exclu ceux qui étaient là avant eux, et reconstruit le quartier à leur image, claironnant leur domination sur les vestiges finissants de ce qui avait été, et n'était plus.
Qui étaient-ils ? Des transfuges de l'Upper East Side. Des nouveaux riches venus d'Europe et d'Asie. Des voleurs de Wall Street. Des spéculateurs. Des yuppies. La lie de New York et de la terre. Je devenais raciste. J'en arrivais à détester les Blancs. Ces Blancs-là.
Il est toujours plus facile de voir chez les autres ce qui nous gêne chez nous. Quelques jours après ma deuxième rencontre avec Sandrine, j'ai compris brusquement que lorsque je croyais sonder son cœur, c'était en fait le mien que je sondais.
La plupart des hommes sont persuadés que leur vie se distingue de celle des autres. Mais la vie qu'ils mènent n'a pas plus d'intérêt que de sens, et tout ce qu'elle mérite, c'est l'extinction.
Servilia nervosa. Ils veulent des enfants, ils veulent des chiens. Mais on dirait qu'ils ne veulent pas grand-chose à faire avec ces deux espèces hideuses qui chient et jappent et qu'ils semblent considérer comme des accessoires de ce qu'ils appellent leur "style de vie" - un mot ridicule inventé comme il se doit par un psy quelconque.
La mémoire est un placard à balai délabré, pitoyable et contaminé dans lequel presque tout ce qui vaut le coup de s'en souvenir, presque tout ce que nous voudrions pouvoir nous rappeler, est perdu, irrécupérable, parmi les immondices hantées de ce que nous voudrions oublier.
Quand j'ai mordu la cuisse de Sandrine de ma bouche pleine de plastique, de fil de fer et des quelques vraies dents qui coupaient encore, son gémissement s'est transformé en un cri strident qui a fendu la nuit, et son cri s'est mué en un soupir sauvage profond comme les océans.
... C'est une drôle d'engeance, ces esclaves blancs aux ignobles carrières d'indolence lucrative. Dire qu'ils méritent la mort reviendrait à dénigrer la mort. Et ce serait absurde, de plus, car en un sens ils sont déjà morts. Des morts qui font du jogging. Des cadavres attentifs à leur taux de glucides avec des sourires figés plein d'un entrain faux et absurde sur leurs visages mornes bien récurés et soignés. Un esclave qui se croit libre ne conçoit nulle échappatoire, car il ne conçoit pas de liberté au-delà de celle que lui autorise sa place dans la vie...
page 281 [...] L'esprit est un instrument lugubre et déréglé au service du tourment, de la peur et des fantômes. Le génie et la beauté ne sont que les flammes de l'esprit en train de se démolir, l'incendie volontaire dans la décharge. Et la mémoire est une chose meurtrière, mastiquée et consommée par les rats, mais rarement roussie par le feu qui chasse les rats. [...]
J'ai pensé à ces vieilles légendes, même si je les savais fausses, selon lesquelles il se faisait changer entièrement le sang en Suisse pour se renouveler et se désintoxiquer. J'ai aussi repensé à un article que j'avais lu dans un populaire magazine de santé quelques années plus tôt, intitulé : " Pourquoi Keith Richards est-il encore en vie ? " Je ne lui en avais pas parlé ; je trouvais la question d'une vulgarité et d'une méchanceté condamnables quand elle s'appliquait à quiconque si ce n'était un ennemi personnel détesté ou un politicien.