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Citations sur L'appareil-photo (13)

La première fois qu'il m'avait raccompagné, je me souviens, je fus assez surpris de voir ma voisine descendre en même temps que moi, et, m'attardant un instant avec elle sur le trottoir tandis que la voiture du chargé de cours s'éloignait, nous échangeâmes quelques mots devant ma porte. Elle s'y était adossée, curieusement, une main dans les cheveux, et ne semblait pas décidée à prendre congé. J'ignorais ce qu'elle me voulait et, comme le silence devenait pesant, nous faisions de grands efforts pour trouver quelque question à nous poser, de temps à autre, dont je méditais chaque réponse les yeux baissés en jouant pensivement du bout des doigts avec la ceinture de son manteau. Puis, finissant par rentrer chacun chez soi, je me rendis compte que nous habitions tout simplement le même immeuble.
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Je fouillai un instant le fond du lit, je me penchai hors des draps, pour regarder le sol. Assise à côté de moi, Pascale avait sorti un horaire de chemin de fer, et le feuilletait toute nue sur le lit. Je la regardais. Elle regarda ses pieds, les comparant, constatant un instant la disparité et reprit l'étude des horaires. Le train de nuit continuait-elle, imperturbable, tout en jouant avec ses orteils nus qui pianotaient dans le vide, partait en fin de soirée, ce qui nous laissait toute la jounée libre pour profiter de Londres.
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Assis dans l’obscurité de la cabine, mon manteau serré autour de moi, je ne bougeais plus et je pensais. Je pensais oui, et lorsque je pensais, les yeux fermes et le corps à l’abri, je simulais une autre vie, identique à la vie dans ses formes et son souffle, sa respiration et son rythme, une vie en tout point comparable à la vie, mais sans blessure imaginable, sans agression et sans douleur possible, lointaine, une vie détaché qui s’épanouissait dans les décombres extenuées de la réalité extérieure, et où une réalité tout autre, intérieure et docile, prenait la mesure de la douceur de chaque instant qui passait, et ce n’était guère des mots qui me venaient alors, ni des images, peu de sons si ce n’est le même murmure familier, mais des formes en mouvement qui suivaient leur cours dans mon esprit comme le mouvement même du temps, avec la même évidence infinie et sereine, formes tremblantes aux contours insaisissables que je laissais s’écouler en moi en silence dans le calme et la douceur d’un flux inutile et grandiose.
[…]
Les heures s’écoulaient dans une douceur égale et mes pensées continuaient d’entretenir un réseau de relations sensuelles et fluides comme si elles obéissaient en permanence à un jeu de forces mystérieuses et complexes qui venaient parfois les stabiliser en un point presque palpable de mon esprit et parfois les faisant lutter un instant contre le courant pour reprendre aussitôt leur cours à l’infini dans le silence apaisé de mon esprit.
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...j’avais une conscience particulièrement aigue de cet instant comme il peut arriver quand, traversant des lieux transitoires et continûment passagers, plus aucun repère connu ne vient soutenir l’esprit. L’endroit où je me trouvais s’était peu à peu dissipé de ma conscience et je fus un instant idéalement nulle part, si ce n’est immobile dans mon esprit, avec le lieu que je venais de quitter qui disparaissait lentement de ma mémoire et celui qui approchait dont j’étais encore loin.
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La pluie me semblait être une image du cours de la pensée, fixe un instant dans la lumière et disparaissant en même temps pour se succéder à elle-même. Car qu’est ce que penser – si ce n’est à autre chose ? C’est le cours qui est beau, oui, c’est le cours, et son murmure qui chemine hors du boucan du monde. Que l’on tache d’arrêter la pensée pour en exprimer le contenu au grand jour, on aura, comment dire, comment ne pas dire plutôt, pour préserver le tremblé ouvert des contours insaisissables, on aura rien, de l’eau entre les doigts, quelques gouttes vidées de grâce brûlées dans la lumière. C’était la nuit maintenant dans mon esprit, j’étais seul dans la pénombre de la cabine et je pensais, apaisé des tourments du dehors. Les conditions les plus douces pour penser, en effet, les moments où la pensée se laisse les plus volontiers couler dans les méandres réguliers de son cours, sont précisément les moments où, ayant provisoirement renoncé a se mesurer a une réalité qui semble inépuisable, les tensions commencent à décroître peu à peu, toutes les tensions accumulées pour se garder des blessures qui menacent – et j’en savais des infimes -, et que, seul dans un endroit clos, seul et suivant le cours de ses pensées dans le soulagement naissant, on passe progressivement de la difficulté de vivre au désespoir d’être.
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Je sorti de la cabine finalement, toujours aussi pensif (je serai plutôt un gros penseur, oui), et refermant la porte derrière moi, je me dirigeai vers la rangée de miroirs des lavabos. Je m’étais mis une main devant la bouche, dans une pause qui semblait avantageuse, et considérais dubitativement l’air impénétrable que j’avais cru bon d’affecter pour me regarder (regard dur, expression implacable)….
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L'institutrice se leva de son bureau pour venir à notre rencontre et, tandis que bon-papa, très galant, à deux doigts de lui baiser la main, s'excusait d'interrompre sa classe en y mettant les formes charmeuses et diplomatiques, elle répondit d'une voix coquette que cela ne faisait rien et nous entraîna tous les trois dans le couloir, laissant la porte entrouverte derrière elle pour surveiller sa classe. Là, M. Polougaïevski lui sortit immédiatement le grand jeu, alliant une malice enjôleuse à la plus austère rationalité pour lui expliquer les raisons du retard de petit Pierre et, avant qu'il ne put la séduire davantage par quelque citation latine, elle s'excusa de devoir abréger l'entretien et prit congé de nous pour aller retrouver ses élèves tandis que nous nous hissions tous les trois à la hauteur du vasistas pour regarder petit Pierre dans la classe, qui était assis au quatrième rang à côté d'une petit fille bonde et bouclée en salopette bleu ciel.
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[Incipit.]

C'est à peu près à la même époque de ma vie, vie calme où d'ordinaire rien n'advenait, que dans mon horizon immédiat coïncidèrent deux événements qui, pris séparément, ne présentaient guère d'intérêt, et qui, considérés ensemble, n'avaient malheureusement aucun rapport entre eux. Je venais en effet de prendre la décision d'apprendre à conduire, et j'avais à peine commencé de m'habituer à cette idée qu'une nouvelle me parvint par courrier : un ami perdu de vue, dans une lettre tapée à la machine, une assez vieille machine, me faisait part de son mariage. Or, s'il y a une chose dont j'ai horreur, personnellement, c'est bien les amis perdus de vue.

Ainsi, un matin, me suis-je présenté aux bureaux d'une école de conduite. C'était un local assez grand, presque sombre, dans le fond duquel plusieurs rangées de chaises se trouvaient disposées en face d'un écran de projection. Sur les murs étaient toutes sortes de panneaux d'indications, quelques affiches bleu pâle ici et là, décolorées et datées. La jeune femme qui me reçut me présenta la liste des documents que j'avais à fournir pour l'inscription, me renseigna sur les prix, sur le nombre de leçons qu'il me faudrait prendre, une dizaine tout au plus pour le code, et une vingtaine pour la conduite, si tout se passait bien. Puis, ouvrant un tiroir, elle me tendit un formulaire, que je repoussai sans même y jeter un coup d'œil, lui expliquant que, rien ne pressant, je préférais le remplir plus tard, si c'était possible, quand je reviendrais avec les documents par exemple, ça me paraissait beaucoup plus simple.

Je passai la journée chez moi, ensuite, lus le journal, fis un peu de courrier. En fin d'après-midi, il se trouva que par hasard je repassai devant les bureaux de l'école de conduite. J'en profitai pour pousser la porte, et la jeune femme, me voyant entrer, crut qu'en réalité je revenais déjà pour l'inscription. Je dus la détromper, mais lui laissai entendre que les choses avançaient, j'avais déjà la photocopie de mon passeport et envisageais dans les heures à venir de voir ce qu'il y avait lieu de faire pour la fiche d'état civil. Elle me regarda un instant avec perplexité et me rappela au passage de ne pas oublier les photos (oui, oui, dis-je, quatre photos).

Le soir même, ayant réussi à me procurer la fiche d'état civil (j'en avais même fait faire une photocop), je reparus aux bureaux de l'école de conduite. Je m'arrêtai un instant sur le seuil et levai la tête en direction du témoin sonore, carillon en cuivre sur lequel s'épuisait un petit marteau. La jeune femme m'expliqua en souriant que d'habitude elle le débranchait quand elle était là, et, se levant, elle contourna son bureau et traversa la pièce dans une robe claire très légère pour me montrer l'interrupteur qui le commandait. C'était un système assez ingénieux, je dois dire, et nous nous divertîmes quelques instants avec, coupant puis remettant la sonnerie en marche, ouvrant et refermant la porte, tantôt de l'intérieur et tantôt de l'extérieur, où il commençait à faire nuit. Nous étions tous les deux dehors justement, quand le téléphone retentit à l'intérieur. Elle rentra aussitôt et, pendant qu'elle répondait, j'attendis en face d'elle, déplaçant des objets du bout des doigts sur son bureau, ouvrant quelque registre. Dès qu'elle eut raccroché, elle me demanda où j'en étais dans la constitution de mon dossier, et nous fîmes ensemble une manière d'inventaire de tous les documents que j'avais déjà réunis. Mis à part les enveloppes timbrées, me semblait-il, il ne manquait que les photos pour que le dossier pût être enregistré. Avant de prendre congé, je lui confiai du reste à ce propos que, tout à l'heure, j'avais retrouvé chez moi quelques photos de quand j'étais petit. Je vais vous les montrer d'ailleurs, dis-je en sortant l'enveloppe de la poche de ma veste, et, faisant le tour du bureau, je les lui présentai une par une, me penchant au-dessus de son épaule pour m'aider du doigt dans mes commentaires. Alors là, dis-je, je suis debout à côté de mon père et là c'est ma sœur, dans les bras de ma mère. Là, on est tous les deux avec ma sœur dans la piscine ; derrière la bouée, c'est ma sœur oui, toute petite. Là, c'est encore nous, ma sœur et moi, dans la piscine. Voilà, dis-je en rangeant les photos dans l'enveloppe, je pense que vous conviendrez que cela ne nous est pas d'une grande utilité (pour le dossier, dis-je).
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La pensée, me semblait-il, est un flux auquel il est bon de foutre la paix pour qu’il puisse s’épanouir dans l’ignorance de son propre écoulement et continuer d’affleurer naturellement en d’innombrables et merveilleuses ramifications qui finissent par converger mystérieusement vers un point immobile et fuyant. Que l’on désire , au passage, si cela nous chante, isoler une pensée, une seule, et l’ayant considérée et retournée dans tous les sens pour la contempler, que l’envie nous prenne de la travailler dans son esprit comme de la pâte à modeler, pourquoi pas, mais vouloir ensuite essayer de la formuler est aussi décevant, in fine, que le résultat d’une précipitation, où, autant la floculation peut paraître miraculeuse, autant le précipité chimique semble pauvre et pitoyable, petit dépôt poudreux sur une lamelle d’expérimentation. Non, mieux vaut laisser la pensée vaquer en paix à ses sereines occupations et, faisant mine de s’en désintéresser, se laisser doucement bercer par son murmure pour tendre sans bruit vers la connaissance de ce qui est. Tel était en tout cas, pour l’heure, ma ligne de conduite.
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Du moment que j’avais un siège, moi, du reste, il ne me fallait pas dix secondes pour que je m’éclipse dans le monde délicieusement flou et régulier que me proposait en permanence mon esprit, et quand, ainsi épaulé par mon corps au repos, je m’étais chaudement retranché dans mes pensées, pour parvenir à m’en extraire, bonjour.
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