Entre le photographe
Yvon Kervinio et le poète
Jean-Claude Touzeil, c'est une longue histoire, un compagnonnage complice et fertile, riche de plusieurs recueils : Piste de Cirque en 1996, Ô clowns en 2001, Vox populi en 2018 et Prendre l'air en 2021. le dernier, le cinquième de la série paru en juillet 2022 aux mêmes éditions L'Aventure Carto, s'intitule
Mémoire vive. Vive comme l'eau que chantait autrefois
Guy Béart. Il règne ici en effet un parfum d'antan, de Bretagne éternelle, de légende même. La fée Viviane n'est pas loin, Merlin non plus. Leur présence bruit sous les feuillages, clapote dans les courants. Jeunesse toujours jeune, profuse de ce qu'elle possède en toute innocence.
Yvon, qui dans son travail s'est beaucoup attaché à photographier les gens, les visages, les métiers et autres activités à forte densité humaine, a choisi pour cet ouvrage des photos de pleine nature prises il y a une quarantaine d'années : chemins ombreux, pierres moussues de la vieille Armorique, sources cachées, ruisseaux bouillonnants ou plus sereins, reflets et éboulis, fougères rougeoyantes, petits matins gelés... C'est superbe. On retrouve le bonheur de la photo argentique, dans la pure tradition qu'on aime. Pour moi qui deviens arbre ou ruisseau plus souvent qu'à mon tour, je me sens réconciliée dans ces paysages, je les connais dans mes veines, je m'y promène en toute quiétude.
Jean-Claude Touzeil accompagne chaque image d'un court poème décalé, facétieux, inventif, bien dans sa façon originale de voir les choses. On n'est pas sérieux quand on a toujours 17 ans. Même si on court moins vite que l'eau et que les fougères nous font des crosses. C'est la nostalgie heureuse qui fait du bien, qui donne de l'allant, petit clin d'oeil humoristique à l'appui. On s'en va « à la pêche aux images » en retrouvant l'enfant qu'on était, oeil vert et jambes de sève. Les arbres dessinent de curieux idéogrammes qu'il faut apprendre à déchiffrer. La ligne droite n'est pas de mise, il faut accepter de se perdre en toute confiance.
Le poème d'ouverture donne le ton :
Césarienne
Alleluia !
la rivière
vient d'accoucher
d'un rocher gris
un gros bébé joufflu
venu des profondeurs
Buvons les amis !
et plutôt deux fois qu'une
dit la parturiente
en arrosant
chaque village
sur son chemin
Même si on constate aujourd'hui qu'avec toutes nos bêtises les berges des rivières sont moins poissonneuses, l'eau moins claire et la terre moins fertile, on se plaît à penser que la nature demeure intacte dans sa force, sa nudité vraie, harmonieuse et sauvage. À nous de l'aimer, de la protéger, de la transmettre. Un cheval paisible dans son pré nous le rappelle : nous vivons tous en symbiose.