Elle savait - peut-être parce qu’elle était plus cultivée que Lloyd, avait lu et compris à la fois Ibsen et Lewis Carroll - que le « foutu fond des choses », ça n’existait pas, et que quand les hommes entendaient le trouver, ils finissaient en règle générale par parler voitures.
Audrun se souvenait des vieilles magnaneries du mas, de leur odeur, de la fraîcheur soudaine de l'air quand on montait les marches vers les pièces bien ventilées, du bruit que faisaient trente mille vers mastiquant des feuilles, un crépitement qui évoquait la grêle sur le toit.
"C'était terrible comme travail, lui avait raconté Bernadette. Vraiment terrible. Il fallait ramasser des paquets et des paquets de feuilles de mûrier, tous les jours que le bon Dieu faisait. Et s'il avait plu, et que les feuilles étaient mouillées, on savait que beaucoup de vers allaient mourir, parce que l'humidité leur causait une sorte d'infection intestinale. Mais on n'y pouvait rien. Chaque matin, on n'avait plus qu'à enlever les vers morts et à continuer. Quelle puanteur ils laissaient là-haut, qui s'ajoutait à celle des déjections. C'était épouvantable. Certains jours, j'en aurais vomi. Je détestais ce travail, vraiment !"
C'est difficile de parler des fois. Des fois, on est comme un insecte qui, privé de voix, doit se contenter de remuer une partie de son anatomie, pendant que, tout autour, le mistral n'arrête pas de souffler, les feuilles de tomber, même au beau milieu de l'été.