Quête de l'impossible ou simplement difficulté à atteindre le but que l'on s'est assigné dans l'existence ?
A l'âge de 6 ans, Mary Ward prend conscience que la nature lui a joué un bien mauvais tour, son corps est celui d'une fille, mais elle sait, dans le fond d'elle même, qu'elle est un garçon. Elle n'est pas Mary, mais Martin. Pas question de s'en ouvrir à ses parents, un père violent, une mère perdue dans son propre monde et l'enfant devra garder le secret de sa véritable identité, jusqu'à ce que, une fois adulte, elle puisse enfin, dans la patience et en souffrance, s'affirmer en tant que mâle.
Rassurez-vous ce n'est pas un rabâchage sur ce sujet à la mode qu'est devenu la transidentité, mais un tableau émouvant de la différence, et un descriptif plein d'empathie des douleurs endurées par Mary-Martin.
Walter Loomis, quant à lui, est né dans une famille de bouchers-de-père-en-fils. Mais il ne se sent aucun goût pour le métier, non, lui, ce qu'il sait faire c'est chanter et ce qu'il veut, c'est en faire son avenir. Envers et contre tous, bien entendu, car ses parents n'envisagent pour lui rien d'autre que la boucherie, avec son lot d'insupportables servitudes à commencer par l'abattage des animaux ! ce pourquoi il n'a vraiment, mais alors vraiment, aucun goût.
De l'Angleterre au Tennessee, on suit les trajectoires (parfois) croisées de Martin et Walter, ainsi que leurs relations plus ou moins houleuses avec les proches.
Et
Rose Tremain de balader le lecteur de Mary-Martin à Walter et vice-versa, en de courtes séquences et diverses saynètes, émaillées des pensées de chacun des protagonistes, le tout étalé sur une trentaine d'années.
C'est intéressant, conté avec tendresse, sans oublier une pointe d'humour, un regard distancié sur les héros ...
mais le format retenu ne donne des différents personnages qu'un aperçu, hélas trop schématique, tant les diverses scènes restent brèves et ne permettent pas d'appréhender la substance des différents comparses.
Car, le lecteur aimerait en savoir un peu plus sur les amours et les amis de Martin et Walter afin de mieux comprendre leur parcours et appréhender leur psyché. Jalousie, haine, homosexualité, violence, maladie mentale ... font partie des nombreux sujets abordés, mais la plupart du temps de manière beaucoup trop anecdotique, ce qui enlève de sa puissance au récit.
En parallèle, l'auteur offre un tableau de l'existence en Angleterre de 1952 à 1980, signalant les bouleversements sociétaux, mais en ne s'attardant pas suffisamment sur les modifications qui ont affecté dans la douleur la société anglaise. Dommage.
Pour autant, ces réserves, malgré la frustration éprouvée à la lecture, ne doivent pas empêcher le lecteur potentiel de se jeter sur cet ouvrage car
Rose Tremain sait faire ressentir les affres de Mary-Martin, coincée dans un corps féminin alors qu'elle se sent véritablement un homme, et ce n'est jamais lourd, ni mièvre.