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Critique de Malaura


Sous l'écrin d'une couverture mauve cartonnée, les éditions Actes Sud ont caché un petit bijou de texte, délicat, sensible, précieux, raffiné, ciselé avec une superbe habileté , chainon après chainon, maillon après maillon, boucle après boucle, par un très talentueux orfèvre-écrivain, l'espagnol barcelonais Fernando Trias de Bes.

L'histoire prend forme dans la Mayence du début du XXème siècle, la ville de Gutenberg et des imprimeurs baptisés à l'eau du Rhin.
Femme de libraire, Alice retrouve son amant à l'hôtel comme tous les mardis, un homme dont elle ne sait rien hormis ce terrible pouvoir d'attraction qu'il exerce sur elle comme un envoutement maudit depuis leur première rencontre.
Elle se rend à son rendez-vous la mort dans l'âme, accablée mais irrésistiblement aimantée, ne se doutant pas que de minuscules particules d'encre imprègnent la peau de l'homme et que cette encre en quantité infime, invisible, incolore, immatérielle, est la cause de la passion fatale dont elle est habitée.
Son mari, le libraire Johann Walbach, après plusieurs années de recherche acharnées à compulser un à un tous les livres de sa librairie pour découvrir la raison de leur infortune, s'adjoint l'aide de Sébastian von der Becke, un mathématicien anéanti par la mort brutale de son enfant, et qui a tout autant tenté de découvrir l'origine de son malheur mais à travers les chiffres à défaut des lettres.
Les deux hommes décident de joindre leurs efforts en réunissant lettres et science.
Par un système de probabilités, de résolution d'impossibilités numériques et littéraires et d'indentification de phrases identiques dans des livres distincts, Sébastian élabore alors ce qu'il se persuade être le « Nouveau Testament des lettres », un livre qui résout le mystère de son infortune, celui de Johan, mais aussi celui de n'importe quel individu !
Le grand livre de l'origine des injustices, de la raison originelle ! Un livre qui, par les réponses aux mystères de l'existence qu'il contient, ne doit pas tomber entre toutes les mains, ne doit pas être conservé après sa lecture et doit donc être imprimé avec une encre éphémère ! Un livre dont les pages s'effacent dès que l'oeil s'y pose ! Un livre aux pages vierges...
Un imprimeur, un correcteur et un éditeur vont se rallier à ce projet aussi délirant que chimérique, les trois hommes aspirant profondément à découvrir les réponses à leurs propres angoisses, peurs, troubles ou malheurs existentiels.
C'est ainsi que naît « Encre » un beau matin de juin 1910 à Mayence, un livre conçu avec les 25078 mots sélectionnés par le mathématicien Sébastian von der Becke parmi les livres fournis par le libraire Johan Walbach, imprimé « de lettres d'eau, transparentes et blanches comme la pluie, comme l'eau de mer, comme l'eau de la glace fondue », corrigé au hasard par le correcteur et chasseur de nuages Bressler, et édité par l'éditeur au flair littéraire imparable Eusebius Hofman…

Quelle belle histoire que celle-ci, inspirée à l'auteur par la lecture d'« Océan mer » d'Alessandro Baricco et citée en exergue en début d'ouvrage !
Fernando Trias de Bes, en imaginant le cheminement du livre, de sa création mentale à son édition et jusqu'à son arrivée entre les mains du lecteur, élabore une construction circulaire dans laquelle chaque personnage - libraire, mathématicien, imprimeur… - délivre sa propre histoire et révèle la raison traumatisante qui l'a poussé à mettre tant d'espoir entre les lignes d'un livre.
« Encre » s'enchaîne ainsi au rythme d'histoires plurielles serties entre elles par le seul pouvoir du livre, récits rivetés tels de minuscules anneaux s'ancrant les uns aux autres et s'amarrant en collier délicat dans un final étincelant.

Eloge, célébration, cette ode allégorique dédiée au livre l'est toute entière, tant est vraie l'adoration que nous autres lecteurs vouons à cet objet si précieux.
Mais « Encre » n'est pas seulement un hommage ; c'est aussi la métaphore de tout ce que nous apportent les livres en matière de rêves, de désirs, de besoins de réponses à nos questions existentielles, de recherche du savoir, même si ce savoir à quelque chose d'éphémère, d'aléatoire et de paradoxal.
Car qu'est-ce qu'un livre sinon la matière même de nos aspirations profondes à appréhender le monde et comprendre ce qui nous entoure, le matériau capable d'alimenter nos réflexions, nos croyances, nos convictions ou nos divagations, la substance par laquelle nous forgeons nos envies d'évasion, de rêves ou d'oubli ?
« Toutes les passions, toutes les réponses, toutes les raisons sont ici ». En lisant, chacun peut trouver ce qu'il est venu chercher, même ce qui n'existe pas, il s'agit simplement d'avoir la foi, de croire…Croire en la magie du livre, croire en sa poésie, en sa puissance, en son enchantement.

Alors raison ou déraison ? A vous de choisir ami lecteur, de ce que vous verrez dans les pages du livre…mais souvenez-vous, comme le dit la phrase de Paul Auster citée également en exergue de ce beau roman parabolique au charme poétique : « on ne devrait jamais sous-estimer le pouvoir des livres »…
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