Au passage du miroir, sans lui jeter un œil, elle devait savoir quelle Sara franchirait la porte pour affronter le monde, la fausseté, la chaleur, la puanteur, l'injustice, la démesure, la misère, le danger, en un mot Karachi. Certains jours, elle rajoutait poésie, espoir, dahl, partage, curry, embruns, famille, devoir. Ces jours là étaient plus rares.
Karachi n'est plus une ville. Mais un cri de détresse. Qui résonne. Des quatre côtés. On ne tire plus en l'air à Karachi. Les balles atteignent désormais les rêves des habitants... P57
Karachi, Pakistan.
8 mai 2002. 7h45.
La chaleur l’avait pris de court, son intensité, ce
qui était absurde, une boule de feu, ça ne pouvait être que ça, une chaleur intense. La douleur était arrivée, il ne savait plus quand. Avant que la boule de feu le frappe peut-être, savoir que ça allait faire mal, la trouille de voir la mort le viser tel un cavalier de l’apocalypse, ou quand, sournoise, alors qu’il l’attendait en pleine figure, elle s’était glissée sous les sièges, l’attrapant par les pieds, lui dévorant les chevilles, les jambes. Ou après, les secondes après, ou quand il s’était réveillé, quoi, quelques secondes, ou peut-être des minutes, après le passage de la boule de feu. Ses yeux brûlés, il ne voyait rien, non pas brûlés, pas la boule de feu,les yeux, c’était quoi, l’onde de choc, souffle coupé, poumons enfoncés. Est-ce qu’il respirait encore ?
[...] L’attentat du 8 mai 2002 à Karachi, au Pakistan. Au cours de cet attentat, onze techniciens français de la DCN (Direction des constructions navales) ont été tués, quatorze autres blessés, tandis que trois Pakistanais ont également trouvé la mort et six autres ont été blessés. L’attentat a été provoqué par l’explosion devant l’hôtel Sheraton d’une voiture piégée.
Dans mon pays, les choix sans conséquence sont un luxe inaccessible.
Celle d'un homme qui avait été fort, épanoui, rayonnant même, cela se sentait, et que le ressac de la vie avait érodé à un point qui donnait envie de reculer d'un pas pour échapper à la contamination par une sorte de malédiction.
J’ai peur quand,
Quelqu’un passe à côté de moi,
Quand les volets claquent au vent,
Quand je m’aperçois qu’une voiture blanche,
Fait des allées et venues,
Quand un taxi stationne dans la rue,
Ou quand un homme passe sans avoir peur.
(De Zeshan Sahil)
- La vérité restera cachée à ceux qui ne veulent pas la voir, et seulement à ceux-là
Nous autres, nous la connaissons. Seule la justice restera cachée.
Ce n'était pas son premier attentat. C'était Karachi. Karachi réclamait son dû. Karachi avait faim.
Karachi n'est plus une ville. Mais un cri de détresse. Qui résonne. Des quatre côtés. On ne tire plus en l'air à Karachi. Les balles atteignent désormais les rêves des habitants...