- La force des mots, dit-il, c'est la force des rêves.
Les récits de détention contiennent tous un art poétique, dressé en leur centre comme une table de fête dans une maison de correction. La poésie s'y manifeste; ici, des candélabres noirs n'éclairant que la nuit, là, un chemin de boue pour la fuite, un lac de paroles enfouies dans l'enfance, un désespoir chanté par les loups, une rosace, un arbre immense dans le désert, un jardin de miniatures, un coeur brodé sur de la soie. Peu importe l'image, pourvu que la réalité se soulève comme une pierre laissant apparaître un bestiaire grouillant.
L'absence de livres me cause maintenant la même douleur que celle d'un membre fantôme.
Plus les jours passent, plus je lis lentement, et plus les mots s'ouvrent comme de multiples printemps.
J'ouvre le premier flacon. Orange et bergamote maquillent un court instant la petite salle moisie. Le deuxième parfum demande plus d'attention, c'est la mandragore, un poème au paysage surréel dessiné lorsque j'étais vivante. Le troisième est une soirée paisible après la mousson. C'est celui que je portais quand je suis morte.
Le soir venu, pour mon plaisir, j’entretiens la pensée que même dans la mort, je suis désobéissante. (p. 81)
Mes élèves viennent d’entrer.
J’ai envie de leur raconter. Que Can Xue écrit pour se venger, pour exhaler des bouffées de miasmes. Cela irait à l’encontre de tout ce qu’ils ont appris. La littérature concevable et guérisseuse. Je choisis plutôt, pour l’instant, de leur parler de la couleur rouge et des ginkgos.
-«La poésie te charme, écrit Can Xue en exergue du premier dialogue. Elle te charme, afin que tu crées des miracles». Que veut-elle dire? (p. 30)
J’ouvre le livre de Can Xue à l’endroit où il est question de la tubéreuse et je caresse le mot avec mes doigts. Parfois une seule image suffit à me transformer. (p. 11)
[…] il a cherché et trouvé un parfum de tubéreuse. Pas n’importe lequel. Un parfum rare, à la fois violent et doux, quelque chose d’impossible à comprendre. (p. 89)
J’ai reçu ce parfum en cadeau le jour de mon dernier anniversaire. Il m’a permis de revivre l’amour. Une odeur insistante, quoique douce, trop présente mais indescriptible à la fois, qui nous avait conduits, mon amant et moi, dans une nuit de délires. Mon corps, son corps. (p. 13)