Sa théorie se résume grosso modo à ceci: on prend un jeune délinquant affligé d'une grande gueule et de mauvaises manières, on l'expédie dans un trou paumé, on s'arrange pour qu'il trime comme une bête dans le cadre d'un boulot honnête, et peut-être, mais seulement peut-être, deviendra-t-il l'homme droit et intègre qu'on a toujours espéré qu'il devienne.
Morris et moi on se dispute. C'est là-dessus que notre amitié est fondée, sur le conflit des idées. (p. 102)
- nouvelle "La ballade du boulet et de la chaîne".
Au cours des mois qui suivirent l'accident - des mois de folle inquiètude, de chagrin et de nuits passées à pleurer seule dans mon lit -, j'appris qu'il n'y avait rien de plus cruel que l'espoir. Je m'imaginais qu'en aimant suffisamment Juan - peu importe qu'il soit devenu un être tout à fait différent, un pauvre réfugié échappé de quelque contrée innommable - il s'en sortirait, peut-être d'un seul coup ou bien petit à petit, et que nous pourrions reprendre notre existence harmonieuse. J'y croyais et je m'accrochais à cet espoir même quand je frottais Juan dans la baignoire comme un chien qu'on lave, même quand je me réveillais en plein nuit toutes les une ou deux heures pour m'assurer qu'il ne s'infligeait pas des blessures qui risqueraient de le laisser handicapé et même quand je recevais sans arrêt des appels téléphoniques de la part de journalistes de la presse ou de la télé qui demandaient des interviews et désiraient tout savoir au sujet de cette mésaventure farfelue de la chaîne et du boulet qui s'était achevée par une mort tragique.
Il y a une image, ou un souvenir, réel ou imaginaire, que je n'arrive pas à me sortir de la tête : au printemps dernier, ma femme est assise sur la chaise que mon fils occupe maintenant tout le temps.
J'ai décidé de ne pas encore en parler, car je préfère évoquer des possibilités de travail dans de lointaines contrées exotiques qui vous apportent les bruits et les couleurs des rêves.
P. 157
Impossible de le nier plus longtemps : Juan, l'homme de ma vie, est fou.
J'ai beau les aimer, je pense sincèrement que mes parents sont des fanatiques religieux à l'esprit étroit, et en ce qui concerne Simone, je crois que l'école d'esthéticiennes dépasse peut-être ses capacités intellectuelles. Pour ce que j'en sais, notre famille n'est rien de plus que des gens qui vivent sous le même toit et qui sont tous déçus les uns par les autres. (Buckeye le Mormon, p. 47)