Magma

Après quelques secondes, il chercha Antosca de ses yeux rougis par le manque d’oxygène, mais il était désormais seul dans la chambre. Des moteurs de motocross se mirent à rugir à plein volume et il crut que son cœur allait surgir de sa poitrine pour lui exploser au visage. D’étranges sons de machines se succédèrent, puis de nouveau des bruits de véhicules, cette fois-ci accompagnés de hurlements de femmes et d’enfants. Des braillements de porc, dont on poinçonnait la gorge avec un surin. Des marteaux pneumatiques, des sifflets stridents, des trompes de chasse…

L'art a cette capacité d'embraser l'imagination. Nous sommes une bouche ouverte prete à s'abreuver dans un magma.

Ma musique peut sembler froide et impersonnelle, sans sensualité, sans volupté… C’est un univers où seules les machines qui ne rouillent pas peuvent trouver leur salut. Une fois vidées de toute dimension ludique, mes compositions deviennent une forme de catharsis.

Un parfum pénétrant de bête brûlée s’infiltra dans les narines de Yoni. Des cloques rondes et flasques se mirent à apparaître sur la peau du serveur. Le corps de plus en plus calciné n’avait plus qu’une lointaine apparence humaine. Evelyne Antosca, avec les traits inflexibles d’une ennemie redoutable, s’agenouilla au-dessus du blessé pour agripper son crâne. Ses faux ongles noirs appuyèrent si fort dans les orbites de l’Asiatique qu’une épaisse mélasse rouge et sombre finit par jaillir de ses yeux.

Le reflet de son visage sur la partie chromée du sèche-mains attira son attention. Il observa son image quelques secondes, puis tourna le robinet pour s’asperger la figure. Il sentait la panique l’envahir et se pencha au-dessus de l’évier pour vomir. Quand il eut fini, il nettoya l’émail à la hâte et but un peu d’eau. Il resta immobile, les yeux fixés sur le miroir. Vidé, insignifiant, il avait l’impression de se débattre dans un gouffre. C’était un adolescent sans amis, sans lien d’aucune sorte, quelqu’un de fantomatique. Le genre de jeune solitaire que l’on pourrait aisément imaginer sauter d’un pont dans un accès de détresse.

La docteure fut prise au dépourvu par la manière abrupte dont cette grande femme entortillée dans sa veste informe s’était adressée à elle. Elle dégageait une arrogance innée, un sentiment de supériorité incontestable. Ses longues jambes maigres de chaque côté des pieds du bureau, elle jaugeait le médecin avec une expression presque menaçante.