Sabaneta avait cessé depuis longtemps d'être un village, c'était devenu un quartier de plus de Medellin, la ville l'avait rattrapé, l'avait avalé ; et la Colombie, entre-temps, nous avait échappé. Nous étions loin, et de loin, le pays le plus criminel de la terre, et Medellin la capitale de la haine. Mais ces choses se savent, elles ne se disent pas. Désolé.
Par ces ruelles abruptes, par ces escaliers de ciment qui montent lentement, péniblement, douloureusement vers le ciel, lequel n'est pas pour nous, escaladant de degré en degré ces marches taillées dans les flancs de la montagne, dans sa terre jaune et stérile, cette même glaise dont Dieu a fait l'homme, son jouet, nous égarant dans le labyrinthe des impasses et des haines, essayant de démêler l'inextricable, la trame enchevêtrée des rancunes et des règlements de compte qui s'héritent de père en fils et se passent de frère à frère comme la rougeole, qu'est-ce que je disais? Ah oui, quel film ne ferions-nous pas, si beau, si douloureux. Mais non, ce sont des rêves et les rêves ne sont que des rêves. Et en plus le cinéma et le roman sont trop petits pour Medellin.
Espagnols bestiaux, Indiens sournois, Nègres porte-malheur : mettez tout ça ensemble dans le creuset de la copulation et vous verrez quel mélange explosif ça vous donne avec la bénédiction du pape et tout le saint-frusquin. Ça fait une racaille tricheuse, prétentieuse, paresseuse, envieuse, menteuse, visqueuse, infidèle et cleptomane, criminelle et pyromane. C'est l’œuvre de la promiscuité espagnole, ce que l'Espagne nous a laissé quand elle s'est tirée avec l'or. Avec en plus une âme scribouillarde, plumitive, fanatique de l'encens et du papier timbré. Insurgés, libérés, traîtres au roi, tous ces bâtards après ça se sont mis à vouloir devenir présidents. Ils ont le feu au cul à l'idée de s'asseoir sur le trône de Bolivar pour piller et commander.
Chaque Commune est divisée en plusieurs quartiers et chaque quartier réparti entre plusieurs bandes : cinq, dix, quinze garçons qui forment une meute, et là où elle pisse personne ne passe.
La haine, c'est comme la pauvreté : ce sont des sables mouvants dont personne ne réchappe : plus on patauge plus on s'enfonce.
« Alexis était l’Ange Exterminateur qui était descendu sur Medellin pour en finir avec cette race perverse. » (p. 85)
Nous avançons vers la même fosse de cendres, dans les mêmes Champs de Paix.
[...] va te faire voir, la psychanalyse est plus en banqueroute encore que Marx !
Le temps emporte les coutumes avec le reste. Ainsi, de changement en changement, pas après pas, les sociétés vont perdant leur cohésion, leur identité, et ne sont plus qu'un patchwork aux morceaux mal cousus.
[...] la Colombie change mais reste la même, ce sont de nouveaux visages d'un vieux désastre.