Le soi hanté : Dissociation structurelle et traitement de la traumatisation chronique

Dès qu'un souvenir, ou une fraction de souvenir, allait remon-
ter, nous le combattions comme nous aurions combattu les
esprits du mal.
Aharon Appelfeld

... beaucoup de thérapeutes spécialistes des traumatismes ont fait l'expérience qu'une seule remarque « malheureuse » peut engendrer une grave crise chez le patient. Ce genre de crise inclut une ou plusieurs actions substitutives, comme une automutilation et une rupture temporaire de l'attachement sûr. Et un seul léger rappel d'une expérience traumatique peut provoquer la reviviscence complète de cet événement sous la forme d'actions sensori-motrices et puissamment émotionnelles, excessives et douloureuses, accompagnées d'une perte de toutes les tendances à l'action sociopersonnelles.

Au sens psychologique, les objets n'existent pas tant que nous ne les construisons pas, c'est-à-dire que nous ne découvrons pas comment les utiliser ; par exemple, un lieu sûr n'est pas une évidence pour les enfants maltraités ; il ne devient sûr que lorsqu'ils découvrent, par exemple, qu'ils peuvent se cacher dans le placard et s'y sentir en sécurité. De la même façon, un survivant va devoir apprendre que le cabinet du thérapeute est un lieu de sécurité. L'usage que nous faisons d'un objet dépend du ou des système(s) d('action qui nous domine(nt) à ce moment. En conséquence, selon que le survivant est dominé par son système d'action défensif ou par un système d'action de la vie quotidienne, il va percevoir une chaise comme un objet derrière lequel on peut se cacher ou qu'on peut utiliser comme une arme (système d'action défensif), ou un rappel du fait qu'il a été attaché sur une chaise et maltraité dans son enfance, ou un objet pour s'asseoir et parler tranquillement et en toute sécurité avec thérapeute (exploration).

... les survivants ont souvent peur ; les sensations physiques de la peur fonctionnent comme les sensations de la faim : plus on a faim, plus on est poussé à chercher de la nourriture ; plus on peur, plus on est poussé à rechercher la sécurité et à éviter le danger. Mais les survivants ont souvent peur, qu'ils soient en sécurité ou non. Ils réagissent aux sensations de peur par une activation permanente de leur système défensif et une concentration étroite sur les éventuels signaux de danger, ce qui, en fin de compte, ne crée par une homéostasie, mais au contraire un grave déséquilibre.

La psychologie de l'action peut ainsi être résumée par les fortes paroles de Rabbi Hillel : "Si je ne suis pas de mon côté, alors qui le sera ? Si je ne suis pas avec les autres, alors que suis-je ? Et si ce n'est pas maintenant, alors quand ?"

... une sensation particulière, comme celle d'un coeur qui bat trop vite lors d'un jogging, peut être associée aux sensations vécues lors d'une expérience traumatisante (conditionnement référentiel) et ainsi devenir dangereuse ou autrement aversive.

Les survivants ou les différentes parties dissociatives peuvent être facilement mis en détresse, et leur désarroi émotionnel crée des perturbations fréquentes dans leur vie et dans le cours de la thérapie. Si l'expression d'émotions adaptées est utile, l'expression d'une émotivité violente est véritablement nocive, parce qu'elle submerge le patient et qu'elle traduit un grave déséquilibre entre son énergie et son efficacité mentale (c'est-à-dire trop d'énergie mentale et trop peu d'efficacité mentale). La catharsis est donc contre-indiquée pour les émotions violentes.

Il peut être utile de parler "à travers" la PAN [Personnalité Apparemment Normale] aux PE [Personnalités Emotives], dès le début de la phase de traitement. Une erreur commune est de supposer que le vécu de la PAN en thérapie correspond au vécu total du patient. Le thérapeute doit donc s'exprimer de telle manière que toutes les parties puissent se sentir entendues et comprises.

Il faut vivre dans le présent, et il n'est pas toujours utile de
commencer à retourner le passé pour vivre dans le présent.

Pierre JANET

Elle [l'enfant de la nuit] étant la clé, et je savais que si je n'arri-
vais pas à l'intégrer à l'enfant de jour, mon cauchemar allait
continuer.

Marilyn Van Derbur