Citations sur Une vie en l'air (25)
J'habitais le rêve d'un homme, la folie d'une entreprise menée envers et contre tous,la ruine d'une forteresse aérienne.Pendant plus de quinze, Bertin avait régné sans partage sur ce fief suspendu, et j'avais pris la suite, comme un braconnier s'installe, en douce, dans la métairie d'un parc abandonné par ses propriétaires,p47.
C'est là que je veux en venir, c'est cette volupté du désarroi que je voudrais vous faire toucher du doigt.
Habiter, comme écrire, c'est travailler une énigme.
Mais tout ce que l'on nous donne, ce sont des solutions, des réponses bien alignées, paramétrées, millimétrées.
Où, désormais, nous perdre ?
Qu'Est-ce qui nous lie à un endroit, sinon la fiction qu'on y projette ?
Tu n'avais rien à perdre,
Les nuits passaient,
A t'envoyer en l'air sous les cieux délavés.
La tête ailleurs et les yeux fermés.
Seul,
Dans la foule,
Si bien seul,
A n'attendre rien.
(Etienne Daho, Le Plaisir de perdre)
L'aérotrain était un monument fantôme !
Un château suspendu, un mirage administratif !
Irrécupérable, il flottait en l'air, soustrait aux régimes de l'échange et de la propriété.
Inventeur perdu chez les gestionnaires, provincial au butte aux Parisiens, aviateur bataillant contre les cheminots, Jean Bertin cumulait toutes les caractéristiques du génie incompris, un mythe que l'échec de son aérotrain est venu démultiplier à l'extrême.
J'aimais cette personnalisation du projet : elle légitimait mon obsession.
J'habitais le rêve d'un homme, la folie d'une entreprise menée envers et contre tous, la ruine d'une forteresse aérienne.
Ligne claire, l'aérotrain n'offrait qu'un simulacre de transparence : son cœur était opaque, et ses bras croisés sur ses secrets.
C'était comme si les deux talus longeant le chemin de fer se détachaient petit à petit l'un de l'autre, l'un aspiré vers l'avenir, vers l'ère des zones commerciales, des drive-in et des hypermarchés géants, et l'autre divergeant au contraire vers une époque reculée, un âge de ruralité immuable, de champs et de meules de foin, siècle figé, sans futur, perpétuellement obscurci par l'ombre gigantesque d'une utopie avortée.
Habiter, comme écrire, c'est travailler une énigme. Mais tout ce que l'on nous donne, ce sont des solutions, des réponses bien alignées, paramétrées, millimétrées. Où, désormais, nous perdre ?
J'essayais d'imaginer leurs vies, ces existences de gosses d'exploitants, à la fois rurales et dorées, ces chambres qui, souvent, disposaient de leur propre téléviseur, ces longues journées où le désir s'exaspérait en séances de tir à la carabine et course de trial dans les champs, ces soirées où l'alcool servait de mètre-étalon au plaisir, ces maisons, ces jardins, ces remises, toujours trop grands, impossibles à occuper, et ces brusques élans vers l'horizon dans l'espoir, toujours déçu, que l'espace cesse enfin de vous écraser. P.43