Citations sur Manifeste pour une psychiatrie artisanale (25)
... la menace plane sur ce qu'on peut appeler une psychiatrie du sujet, fondée sur la reconnaissance de la dimension stricto sensu intersubjective de la relation de soin, supposant un engagement mutuel des soignants et des personnes soignées, même lorsque la relation thérapeutique s'instaure sous la bannière de la contrainte.
Il est assez légitime de douter de la fiabilité du manuel diagnostique états-unien (DSM-5) dont Allen Frances lui-même, maître d'oeuvre de l'édition précédente, juge plusieurs éléments "dangereux et douteux sur le plan scientifique".
La question de l'évaluation est, elle aussi, cardinale. Disons-le tout net : par essence, le soin psychique n'est pas évaluable, car sa plus ou moins bonne réussite s'exprime en termes de gain de liberté psychique, pour reprendre l'heureuse formulation d'Henri Ey.
Parmi les nombreuses biographies de Freud, celle de Stefan Zweig me semble plus touchante car écrite une dizaine d'années avant la mort de l'homme qu'elle décrit, par un auteur issu du même bain culturel.
Si la fonction consistant à soigner les psychismes pour rendre les patients plus libres devait céder la place à celle de réparer les cerveaux pour rendre les patients plus adaptés, les psychiatres, devenus nerviatres, se retrouveraient dans le rôle de fournir du "temps de cerveau humain disponible" aux logiques marchandes qui se le disputent. Ils deviendraient les acteurs d'une psychiatrie industrielle harmonieusement sertie dans le paysage de la marchandisation universelle. Comment oser prétendre que ce serait un progrès?
Sur quoi, en navigateur habile à prendre l'air du temps, Michel Onfray produira un portrait de Freud en repoussoir absolu: philosophe et non scientifique, enrichi, coureur de jupons au point de coucher avec sa belle-soeur, et d'un pessimisme quasi maladif. Venant d'un philosophe qu'on imagine aisé, auteur d'un manifeste d'hédonisme et de réflexions désenchantées sur le désastre écologique actuel, on ne peut que se perdre en conjectures sur les mobiles qui l'ont conduit à une pareille autocritique en creux.
Une maladie psychiatrique vieille de plusieurs millénaires a récemment disparu des classifications diagnostiques : l'hystérie. (...) Dans son extrême versatilité sémiologique, dans sa mise au défi de toute thérapeutique protocolisée, dans sa rétivité aux médications, l'hystérie ne pouvait pas plaire aux classificateurs modernes, ennemis des zones d'ombre et soucieux d'attribuer à chaque affection un remède à la désignation éclairante - antidépresseur, anxiolytique, thymorégulateur, hypnotique ou antipsychotique, terminologie qui permettra sans doute un jour à la plus simplette des intelligences artificielles de rédiger les ordonnances. On peut craindre que nos taxinomistes modernes, au nom d'un cartésianisme de pacotille, aient considéré que l'absence de médication antihystérique prouvait l'inexistence de cette affection. Mais chasser l'hystérie des classifications ne l'a pas fait disparaître de la réalité pour autant.
J'ai personnellement reçu plusieurs jeunes patients qui, pour avoir fait deux ou trois tentatives de suicide dans le contexte d'une déception sentimentale, mais aussi pour compter un suicidé ou un suicidant dans leur famille élargie, se sont vu poser à la volée un diagnostic de bipolarité et le traitement qui va avec: thymorégulateur et/ou neuroleptique. Après quoi, un peu plus désespérés pour avoir pris vingt kilos et ne plus se reconnaître, ils arrivent dans leur service de secteur parce que le psychiatre expert qui a posé le mauvais diagnostic n'assure pas le service après-vente. Et c'est un long travail que de leur faire arrêter le traitement qui les détruit, et retrouver, par un accompagnement psychothérapeutique patient, la possibilité de reprendre leur vie en main et de penser le chagrin comme une épreuve de vie et non le symptôme d'une maladie chronique.
Sur la vie entière, environ un tiers de la population a souffert, souffre ou souffrira d'une pathologie psychiatrique. Occasion de souligner qu'Homo sapiens sapiens, espèce qu'on pourrait croire protégée par ses performances cognitives hors du commun, fait preuve d'une extrême fragilité psychique.
... il est temps de rappeler que l'exercice de la psychiatrie s'apparente à un artisanat d'art, et que les soignants en psychiatrie partagent beaucoup de valeurs professionnelles avec, par exemple, les luthiers.