- Ah ! madame, répondit Jasper Hobson, je suis de ceux qui pensent qu'il vaut mieux visiter la Russie pendant l'hiver, et le Sahara pendant l'été. On voit alors ces pays sous l'aspect qui les caractérise. Non ! le soleil est un astre des hautes zones et des pays chauds. À 30 degrés du pôle, il n'est véritablement plus à sa place ! Le ciel de cette contrée, c'est le ciel pur et froid de l'hiver, ciel tout constellé, qu'enflamme parfois l'éclat d'une aurore boréale. C'est ici le pays de la nuit, non celui du jour, madame, et cette longue nuit du pôle vous réserve des enchantements et des merveilles.
Ce n'est pas grand chose qu'un conseil de femme, mais il faut être fou pour n'y point prêter attention.
Kalumah précédait la
petite troupe. La vive et
légère indigène, comme un
chamois dans les roches
alpestres, marchait d’un
pied sûr au milieu des
glaçons. C’était merveille
de la voir courir ainsi, sans
une hésitation, sans une
erreur, et suivre, d’instinct
pour ainsi dire, le meilleur
passage dans ce labyrinthe
d’icebergs.
C'était le corps du sergent, attaché par la ceinture. L'infortuné Long n'avait même pas pu atteindre le hangar. Il était tombé en route, foudroyé par le froid. Son corps, exposé pendant près de vingt minutes à cette température, ne devait plus être qu'un cadavre.
Mac Nap et Raë, poussant un cri de désespoir, transportèrent le corps dans le couloir; mais, au moment où le lieutenant voulut refermer la porte extérieure, il sentit qu'elle était violemment repoussée. En même temps, un horrible grognement se fit entendre.
" A moi! » s'écria Jasper Hobson.
Mac Nap et Raë allaient se précipiter à son secours. Une autre personne les précéda. Ce fut Mrs. Paulina Barnett, qui vint joindre ses efforts à ceux du lieutenant pour refermer la porte. Mais la monstrueuse bête, s'y appuyant de tout le poids de son corps la repoussait peu a peu et allait forcer l'entrée du couloir...
[...] Cette journée parut interminable au lieutenant Hobson. Il retourna plusieurs fois au sommet du cap Bathurst, seul ou accompagné de Mrs. Paulina Barnett. La voyageuse, âme vigoureusement trempée, ne s'effrayait aucunement. L'avenir ne lui paraissait pas redoutable. Elle plaisanta même en disant à Jasper Hobson que cette île errante, qui les portait alors, était peut-être le vrai véhicule pour aller au Pôle Nord ! Avec un courant favorable, pourquoi n'atteindrait-on pas cet inaccessible point du globe ? [...]
La brise, étant molle, ne forma point un de ces tourbillons, si communs dans les régions polaires, auxquels les Anglais ont donné le nom de «drifts».
Toutefois, les projets de la Compagnie une fois réalisés, lorsque le nouveau fort aura été élevé sur l'extrême limite du continent américain, il est possible qu'il devienne un point de départ naturel pour toute expédition dirigée vers le nord. D'ailleurs, si les animaux à fourrures, trop vivement pourchassés, se réfugient au pôle, il faudra bien que nous les suivions jusque-là !
- A moins que cette coûteuse mode des fourrures ne passe enfin, répondit Mrs. Paulina Barnett.
- Ah! madame, s'écria le lieutenant, il se trouvera toujours quelque jolie femme qui aura envie d'un manchon de zibeline ou d'une pélerine de vison, et il faudra bien la satisfaire !
- Je le crains, répondit en riant la voyageuse, et il est probable, en effet, que le premier découvreur du pôle n'aura atteint ce point qu'à la suite d'une martre ou d'un renard argenté !
- C'est ma conviction, madame, répondit Jasper Hobson. La nature humaine, est ainsi faite, et l'appât du gain entraînera toujours l'homme plus loin et plus vite que l'intérêt scientifique.