Il y a deux chances de ne jamais revoir les amis dont on se sépare pour un long voyage : ceux qui restent peuvent ne se plus retrouver au retour ; ceux qui partent peuvent ne plus revenir.
Décidément, c'était un de ces rudes fermiers du Nord-Amérique, qui meurent centenaires et encore ne s'explique-t-on pas pourquoi ils veulent bien se décider à mourir.
D'abord, les médecins purent constater que la folie de Dolly affectait la forme d'une mélancolie douce. Nulle crise nerveuse, aucune de ces violences inconscientes, qui obligent à renfermer les malades et à leur rendre tout mouvement impossible. Il ne parut donc pas nécessaire de se précautionner contre ces excès auxquels se portent souvent les aliénés, soit contre autrui, soit contre eux-mêmes. Dolly n'était plus qu'un corps sans âme, une intelligence dans laquelle il ne restait aucun souvenir de cet horrible malheur. Ses yeux étaient secs, son regard éteint. Elle semblait ne plus voir, elle semblait ne plus entendre. Elle n'était plus de ce monde. Elle ne vivait que de la vie matérielle.
Quant à lui, il n'écrirait plus, si ce n'est pour annoncer sa mort, et encore, cette lettre ne serait-elle pas de sa propre main.
Il y a deux chances de ne jamais revoir les amis dont on se sépare pour un long voyage : ceux qui restent peuvent ne se plus retrouver au retour ; ceux qui partent peuvent ne plus revenir. Mais ils ne se préoccupaient guère de cette éventualité, les marins qui faisaient leurs préparatifs d’appareillage à bord du Franklin, dans la matinée du 15 mars 1875. Ce jour-là, le Franklin, capitaine John Branican, était sur le point de quitter le port de San-Diégo (Californie) pour une navigation à travers les mers septentrionales du Pacifique.
Devant une folie calme, réservée, languissante, que ne troublait aucune surexcitation physiologique, les médecins ne semblaient point garder le plus léger espoir, et ils ne tardèrent pas à cesser leurs visites.