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Critique de Sertorius


Jules Verne ne serait-il qu'un affreux raciste ? Gardons-nous de le condamner trop vite. Dès son premier roman, il est en effet capable de reconnaître la qualité de certaines cultures africaines ; comme dans ce passage de Cinq semaines … où nos voyageurs survolent Tombouctou. L'Afrique a eu parfois un grand passé ; malheureusement ces temps semblent révolus :
"Tombouctou, depuis le XIe siècle, objet de convoitise générale, a successivement appartenu aux Touareg, aux Sonrayens, aux Marocains, aux Foullannes ; et ce grand centre de civilisation, où un savant comme Ahmed-Baba possédait au XVIe siècle une bibliothèque de seize cents manuscrits, n'est plus qu'un entrepôt de commerce de l'Afrique centrale. La ville paraissait livrée, en effet, à une grande incurie." Voilà qui semble aussi reconnaître, indirectement, le rôle positif des musulmans à l'histoire de l'Afrique.
Mais la générosité de notre auteur s'affirme plus clairement dans d'autres de ses ouvrages comme Nord contre Sud ou Un capitaine de quinze ans, remarquable dénonciation de l'esclavage qui subsiste dans la seconde moitié du XIXème siècle. le livre, publié en 1878, raconte l'histoire d'un garçon de quinze ans, Dick Sand, qui se retrouve seul maître à bord du Pilgrim, à la suite d'un accident où périssent le capitaine et les hommes d'équipage. Responsable des quelques passagers du navire, une jeune mère et son enfant et quatre noirs américains affranchis, il est trahi par le maître cuisinier qui fait en sorte que le Pilgrim soit amené sur les côtes de l'Angola. Cet individu, Negoro, un Portugais, cherche à vendre ses compagnons comme esclaves. La seconde partie du livre nous entraîne à la suite de Dick Sand dans cette Afrique en proie à la traite négrière.
Précis, équilibré dans ses jugements, le livre fait dans l'ensemble de la bonne pédagogie.
Oubliant un peu vite que la Convention avait supprimé l'esclavage dans les colonies françaises dès 1794, Jules Verne rappelle que l'Angleterre, la première, abolit la traite en 1807 et qu'elle fut suivie par la France lors de la Restauration, en 1814 (Napoléon, qui avait rétabli l'esclavage en 1802 - confirma cette mesure pendant les Cents jours). Tout cela, admet notre auteur, resta assez théorique, les négriers ne cessant de courir les mers et allant "vider dans les ports coloniaux leur cargaison d'ébène" ; mais en 1838 l'Angleterre émancipa tous les noirs de ses colonies, six cent soixante-dix mille esclaves ; suivie bientôt par la République française de 1848.
Jules Verne rappelle que l'esclavage n'a pas été l'exclusivité de l'Europe ; et qu'en cette seconde moitié du XIXème siècle, deux courants principaux de traite négrière subsistent en Afrique. "Deux directions sont imprimées aux caravanes : l'une vers la colonie portugaise de l'Angola ; l'autre à l'est vers le Mozambique. de ces malheureux dont une faible partie arrivent à destination les uns sont expédiés soit à Cuba, soit à Madagascar ; les autres, dans les provinces arabes ou turques de l'Asie, à La Mecque ou à Mascate". Notre auteur utilise les meilleures sources sur le sujet, les trouvant dans les récits tout juste publiés des grands voyageurs anglais comme Grant, Cameron, Burton ou Speke. Il décrit les provinces ravagées par les razzias où on ne trouve que mort et désolation. Livingston, au lendemain de ces chasses à l'homme, ne reconnaissait plus les provinces qu'il avait visitées quelques mois auparavant.
"Le marché des colonies espagnoles et portugaises se fermera un jour ; des peuples civilisés ne peuvent plus longtemps tolérer la traite… toutefois, pendant de longues années encore, les nations musulmanes maintiendront ce trafic qui dépeuple le continent africain. C'est vers elles que se fait la plus importante émigration de noirs…"
Un peu plus loin, Jules verne écrit : "L'islamisme est favorable à la traite. Il a fallu que l'esclave noir vînt remplacer là l'esclave blanc d'autrefois." Mais il n'absout pas pour autant totalement l'Occident puisqu'il ajoute : "nombre d'agents de grande puissances européennes n'ont pas honte de montrer pour ce commerce une indulgence regrettable."
Voilà qui ressemble à une série de constats objectifs, sans souci d'accabler ou d'absoudre à sens unique. Dans le cours du récit, les noirs affranchis se montrent héroïquement courageux. C'est l'un de ces frères, Hercule qui, après avoir réussi à échapper aux traitants, sauvera la situation en délivrant Dick Sand. On est loin des stéréotypes du bon noir, domestique dévoué mais un peu borné que l'on trouve dans plusieurs livres et notamment dans L'île mystérieuse ou Robur le Conquérant.
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