Une cuisine étincelante, des couleurs vives, il semble faire beau et chaud sur cette couverture particulièrement attirante, et ce titre de roman, «
Un long, si long après-midi », plein de langueur. Tout semble si parfait. Vraiment ? Les apparences sont trompeuses si l'on prend la peine de les gratter un peu, et c'est ce que ce roman aura (au moins) le mérite de montrer.
Car si l'on y regarde bien, ce tableau n'est pas si parfait et en ordre qu'il en a l'air. le repas est brûlé, le lait a débordé de la casserole et du sang tache le lino si bien entretenu. Ce sang, c'est celui de Joyce
Haney, qui a, semble-t-il disparu, laissant derrière elle un mari, beau comme un ancien quarterback, deux adorables petites filles, une garde-robe bien fournie, une maison digne d'un magazine de décoration dans une banlieue californienne chic et bon genre. Bref, la vie parfaite comme on pouvait l'imaginer à la fin des années 1950, tout du moins pour la classe moyenne aisée blanche. Car la première arrivée sur les lieux, Ruby Wright, la femme de ménage de la famille
Haney, sera arrêtée, sans raison, tout simplement parce qu'elle est noire. En effet, sous le soleil californien, et encore plus au tout début des années 1960, l'air n'a pas la même densité pour tous, et les droits sont une notion un peu plus définie pour certains que pour d'autres.
L'affaire est donc attribuée à Mick Blanke, un inspecteur qui arrive tout droit de New York, et qui traîne suffisamment de casseroles pour ne pas être vraiment pris au sérieux, malgré les grands airs qu'il se donne. Un peu moins obtus que les autres, il saura écouter Ruby, cette jeune femme moderne voire en avance sur son temps, qui ne se résout pas à se soumettre à la double oppression d'être femme et noire. Car Joyce et Ruby sont les deux héroïnes principales de ce roman, deux femmes qui présentent des points communs : celui de ne pas vouloir être ce que la société attend d'elles, d'être elles-mêmes, d'aller au bout de leurs envies, même si ce combat est difficile à porter quand on est une femme mariée ou quand on est une femme avec la mauvaise couleur de peau, et de parer les coups, même si ceux-ci sont moins visibles pour la première que pour la seconde.
Ce message féministe et en faveur de l'égalité des droits est séduisant. C'est dommage qu'il soit en revanche noyé dans une enquête brouillonne, portée par un enquêteur dont la nature est d'être à côté de la plaque (aussi bien professionnellement que dans sa vie privée), et que l'autrice n'échappe à aucun cliché : une ambiance que la série « Desperate Housewives » n'aurait pas reniée (cette tyrannie de la perfection à tout prix, cette société féminine aussi sympathique qu'un noeud de vipères derrière les sourires colgate), et une brochette de clichés sexistes le plus souvent émis par un flic qu'on a seulement réussi à faire ressembler à une pâle copie de l'inspecteur Harry : « Quand Fran était enceinte de Sandy, ses hormones lui assuraient la stabilité émotionnelle d'une ballerine de cinq ans et réduisaient son intelligence à celle d'une assiette de purée » ; « Ce regard désespéré, la façon dont le bout de sa langue frotte ses lèvres fougueuses… Elle sait quelque chose. Ça se manifeste comme ça chez les femmes. Comme un manque. Les hommes qui veulent passer à table parlent sans détour, mais les femmes deviennent sirupeuses comme de la crème au caramel ». le tout servi par une écriture balourde, capable de présenter une femme d'âge moyen comme « une femme approchant l'automne de sa vie » (sic)…
La description de cette banlieue californienne fait tout aussi toc (« le Seafront View Hotel est probablement la plus grosse arnaque de ce côté de Brentwood. Il n'y a pas plus de front de mer qu'il n'y a de vue, sauf si vous considérez que contempler l'Interstate 10 est une expérience visuelle remarque ». Voilà tout ce qu'on aura pour planter un décor américain), et quelques réflexions un peu trop modernes pour être tout à fait d'époque (c'est probablement un tout petit détail, je chipote, mais un inspecteur des années 1960 allait-il vraiment se demander si une femme prenait des médicaments en raison de règles douloureuses ?) viennent finir de plomber ce roman un peu bancal. C'est dommage, il y avait de l'idée. Mais les voisines de Wisteria Lane peuvent aller se coucher tranquilles, elles n'auront pas cette fois-ci de la concurrence.