[...] ... - "Donc," reprit la petite voix blanche, "l'alternative se réduit à ceci : ou partir, quitter Montjoya à jamais, ou accepter d'être votre femme ?"
Il inclina la tête en silence, comme s'il avait peur qu'un mot de lui décidât de la réponse féminine dans un sens ou dans l'autre.
Noëlle se taisait maintenant. Les yeux fixes, elle regardait dans le vague toute une perspective qu'elle s'efforçait d'envisager. Puis, doucement, elle observa :
- "Si je n'écoutais que ma peur de l'inconnu, l'angoisse de quitter Montjoya et l'épouvante de me retrouver seule, je répondrais tout de suite que j'accepte avec gratitude votre offre magnanime. Mais la demande que vous me faites comporte plus de réflexion : y répondre avec légèreté serait en amoindrir la valeur. Quoi qu'il en soit, monsieur, soyez béni pour avoir formulé si généreusement une telle proposition.
- Vous refusez !" s'exclama-t-il avec élan.
- "Oh ! non," protesta-t-elle non moins spontanément. "Si c'est une réponse immédiate qu'il vous faut, soyez tout de suite assuré de mon consentement."
Elle leva les yeux sur l'homme qui demeurait impassible.
- "Pourtant," insinua-t-elle timidement, "je crois que, pour vous comme pour moi, il serait plus digne de réfléchir quelques heures. Je ne me leurre pas : c'est bien un mariage de sagesse que vous m'offrez de contracter avec vous. Votre bonté a pitié de ma faiblesse, vous voulez faire cesser mon désarroi. Mais je suis si pauvre, qu'un pauvre lui-même hésiterait à me faire partager sa misère ; êtes-vous bien sûr, monsieur, que demain vous ne regretterez pas votre générosité d'aujourd'hui ?
- Un homme de coeur ne revient jamais sur une pareille proposition," affirma-t-il simplement. ... [...]
La main dans la main, ils ne parlèrent plusieurs cœurs étaient d’accord dans une même pensée, vers un même but, avec une même vision d’avenir : le foyer à fonder, à entretenir, à perpétuer…
Le but humain…
Quand on veut tuer son chien, on trouve toujours motif à dire qu’il est enragé. M. Le Kermeur veut me renvoyer, et il saisit n’importe quel prétexte. De vraie raison, il n’en a pas, et tout ce que je dirai ne servira à rien.
Jamais lit ne lui parut meilleur que celui qu’elle occupa cette nuit.
Elle était tout attendrie d’allonger son corps, rompu de fatigue, entre deux draps immaculés et de pouvoir poser sa tête accablée sur le moelleux oreiller de plume.
Elle dormit du sommeil profond et lourd des bêtes recrues de labeur. Son éreintement était tel qu’il faisait grand jour quand elle se réveilla, les jambes raides, mais l’échine reposée.
Si longue que soit une route, pourtant, quand les pieds la grignotent pendant longtemps, on en voit toujours la fin.
[...] ... L'homme l'écoutait distraitement, comme si cette affaire l'énervait. Pourtant, quand elle eut cessé de parler, il resta pensif un moment.
- "Quelle histoire ! Quelle histoire !" murmura-t-il. "Les gens ne doutent de rien, vraiment."
Il s'était levé et arpentait la grande pièce tiède.
Une pensée devait l'importuner.
- "J'avais bien besoin de vous interroger !" fit-il, ennuyé par la responsabilité qui lui incombait maintenant.
Les mains dans les poches, il s'arrêta un instant devant la fenêtre et regarda machinalement la campagne qui s'étendait devant lui jusqu'aux confins de l'horizon.
- "Un temps à ne pas mettre un chien dehors !" fit-il encore avec une sorte de colère.
Soudain, il se tourna vers Noëlle et brusquement lui dit :
- "Une autre fois, mademoiselle, on se renseigne, on écrit ! Vous auriez dû vous assurer de mes intentions. C'est extraordinaire, une histoire comme celle-là : les gens ont un aplomb formidable !"
La violence de son ton fit trembler la jeune fille.
- "Je ne savais pas," balbutia-t-elle. "Je ne pouvais pas savoir que mon tuteur ne vous connaissait pas."
A ce moment, une sorte de sifflet retentit. C'était à la fois très proche et très lointain, comme un son faible et étouffé.
Noëlle n'eut pas le temps de se demander d'où ce bruit singulier pouvait venir. Elle vit M. Le Kermeur s'élancer vers un pan de la muraille.
Son doigt, frôlant la tenture, dut appuyer sur un invisible bouton, car un ressort détendit d'un coup la porte d'une minuscule armoire dissimulée dans l'épaisseur du mur.
Noëlle vit le châtelain saisir un tuyau qui pendait au fond de cette armoire et le porter successivement à son oreille et à sa bouche. ... [...]
Mais le désir de l’homme viril se mêle toujours plus ou moins inconsciemment à toutes ses émotions. Ce corps très chaud contre lui, cette voix douce aux accents troublants, ces mots de tendresse qu’une femme murmurait, tout éveilla en Yves Le Kermeur le besoin de satisfactions moins platoniques.
Il faut connaître la souffrance pour comprendre le prix du bonheur…
Le passé est quand même précieux à notre souvenir.
D’ordinaire quand on projette de faire quelque sottise, les événements nous sont complices et le hasard semble toujours prêt à favoriser nos désirs insensés.