Citations sur La vie privée dans l'Empire romain (10)
Non seulement le travailleur était socialement un inférieur, mais encore il était tenu pour quelque peu ignoble. Nous en concluons souvent qu'une société qui méconnaissait à ce point les vraies valeurs a dû être une société mutilée, qui a dû avoir à payer le prix de sa mutilation : ne serait-ce point le mépris du travail qui expliquerait le retard économique des Anciens, leur ignorance du machinisme ? A moins qu'une plaie ne s'explique par une autre plaie et que le dédain du travail ait son explication dans cet autre scandale que fut l'esclavage.
A quoi reconnaissait-on un vrai libertin ?
A ce qu'il violait trois interdits :
- Il faisait l'amour avant que la nuit ne soit tombée (s'aimer pendant la journée devait rester le privilège des nouveaux époux au lendemain de leurs noces)
-il faisait l'amour sans établir l'obscurité (les poètes érotiques prenaient à témoin la lampe qui avait brillé sur leurs plaisirs)
-il faisait l'amour avec une partenaire qu'l avait dépouillée de tous ses vêtements (seules les femmes perdues aimaient sans leur soutien-gorge et, dans les peintures des bordels de Pompéi, les prostitués ont conservé cet ultime voile).
Le libertinage se permet même des caresses qui sont des attouchements mais à condition de les faire de la main gauche, ignorée de la droite.
La seule chance d'apercevoir un peu de nudité de l'aimée pour un honnête homme, était que la lune passe devant la fenêtre ouverte au bon moment. (...)
Ce puritanisme était aussi un esclavagisme.
A Rome, un citoyen n' "a" pas un fils : il le "prend", le "soulève" (tollere) ; le père exerce la prérogative , aussitôt après qu'est né son enfant, de le soulever de terre, où l'a déposé la sage-femme, pour le prendre dans ses bras et manifester ainsi qu'il le reconnaît et refuse de l'exposer. (...)
L'enfant que le père n'a pas soulevé sera exposé devant la porte du logis ou sur une décharge publique ; le recueillera qui voudra. Il sera également exposé si le père, absent, a donné l'ordre à sa femme enceinte de le faire. (...)
Eux (les Romains) exposaient ou noyaient les enfants mal -formés (ce n'est pas là colère, mais raison, dit Sénèque : "Il faut séparer ce qui est bon de ce qui ne peut servir à rien")
(...) Les pauvres abandonnaient les enfants qu'ils ne pouvaient nourrir ; d'autres "pauvres" (au sens antique de ce mot, que nous traduirions par "classe moyenne") exposaient les leurs "pour ne pas les voir corrompus par une éducation médiocre qui les rend inapte à la dignité et à la qualité " écrit Plutarque ;
En ces temps-là, l'astrologie, fondée sur de solides connaissances astronomiques, était en crédit, comme chez nous la psychanalyse
Les Romains ont la réputation d'avoir été les inventeurs du droit ; il est vrai qu'ils ont écrit beaucoup de livres de droit remarquables et qu'ils trouvaient glorieux et délectable de connaître et de pratiquer les arcanes et les détours du droit civil ; c'était une culture, un sport et un sujet de fierté nationale. On n'en conclura pas que la légalité régnait effectivement dans leur vie quotidienne ; le juridisme introduisait seulement dans leur chaos une complication supplémentaire, voir une arme, celle de la chicane. En pays grec, sous l'Empire, le chantage judiciaire et les extorsions para-légales portaient le vieux nom de "sycophantie"
L'adultère est un vol, enseigne Epictète : enlever la femme de son prochain est aussi indélicat que puiser à table dans a portion de porc servie à son voisin.
Le mariage était donc senti comme un devoir parmi d'autres, comme une option à prendre ou à rejeter. Il n'est pas "la fondation d'un foyer", l'axe d'une vie, mais une des nombreuses décisions dynastiques qu'un seigneur aura à prendre : entrer dans la carrière publique ou rester dans la vie privée afin de grossir le patrimoine dynastique, devenir un militaire ou un orateur etc. L'épouse sera moins la compagne de ce seigneur que l'objet d'une de ses options. Elle sera si bien un objet que deux seigneurs pourront se la refiler amicalement : Caton d'Utique, modèle de toutes les vertus, prêta sa femme à un de ses amis et la réépousa plus tard, épongeant au passage un immense héritage ; un certain Néron "fiança" (c'était le mot consacré) son épouse Livie au futur empereur Auguste.
La philosophie était la matière des sectes qui proposaient, aux individus que cela pouvait intéresser, des convictions et des règles de vie ; on se faisait stoïcien ou épicurien et on se conformait plus ou moins à ses convictions, de même que chez nous on est chrétien ou marxiste, avec le devoir de vivre sa foi ou de militer.
La mère de Sénèque s'était vu interdire l'étude de la philosophie par son mari, qui y voyait la voie du dévergondage.
La "voix du sang" parlait très peu, à Rome ; ce qui parlait plus haut était la voix du nom de famille. Or, les bâtards prenaient le nom de leur mère, et la légitimation ou la reconnaissance de paternité n'existaient pas "