Citations sur Le collectionneur d'herbe (10)
- La crise est financière, Chef. Vous devez savoir ça.
- Mais la grammaire aussi est en crise. Ça ferait un bon sujet. Un lecteur anonyme, qui parle de la crise de la grammaire, qui met l'accent sur la dégénérescence des compléments d'objet direct, le manque d'intérêt pour les adjectifs. Ils vont apprécier.
- Ecrire "dégénérescence", je ne le sens pas.
- Écris "décadence", quelque chose du genre :
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- Depuis que vous portez des lunettes, vous êtes plus distant, Chef. Enfin, c'est ce qu'il me semble.
- Je vois les choses de plus loin.
- Mais ce sont des lunettes pour lire.
- La lecture est une tâche de plus en plus dangereuse. Isaltino. Elle devient une activité à risque à partir d'un certain stade. Avec l'âge, les yeux ont moins de force à résister a tous ces mauvais livres. Et je ne parle pas du cerveau.
- Avec vos lunettes, vous avez l'air plus respectable, Chef.
- C'est bien possible.
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Elle se plaignait sans arrêt de l'inhabilité et du manque de concentration des élèves qui passaient leurs après-midi dans les cafés de la rue Arbat à imiter - mais à imiter seulement - les postures des grands artistes d'autrefois, comme si un Tchaïkovski ou un Pouchkine avaient éclos d'un flot de bavardages bohèmes au lieu d'un travail dur et acharné et d'une grande résistance à la douleur et à la mélancolie.
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Ce monde merveilleux avait pris fin. Non qu'elle eût beaucoup d’illusions. Le socialisme avait pris fin. Le socialisme n'était plus qu'un hiver de merde plein de neige, avec de la boue dans les allées des parcs de Krasnogorsk où la pelouse n'arrivait presque jamais à pousser entre les statues des héros de la Patrie.
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L’ophtalmologie est une science noble. Elle permet la promotion sociale des classes les plus défavorisées. Dans mon village, seuls le curé, l’épicier et une vieille tante à moi portaient des lunettes. Les autres étaient condamnés à voir mal et ils pensaient que le monde était comme ça, flou ou sale. Ils ne savaient pas ce qu’était une rétine, une cataracte, ils ne pouvaient rien comparer, ils ignoraient l’existence des dioptries. Et ils n’ont jamais pu lire Tolstoï ou Tourgueniev.
Ce monde merveilleux avait pris fin, non qu’elle eût beaucoup d’illusions. Le socialisme avait pris fin, le socialisme n’était plus qu’un hiver de merde plein de neige, avec de la boue dans les allées des parcs de Krasnogorsk où la pelouse n’arrivait presque jamais à pousser entre les statues des héros de la Patrie. Ce monde merveilleux fait de maisons qui ne chauffaient jamais, de voitures sans cesse en panne, de bus toujours en retard, de personnes qui mouraient de froid – c’était terminé. Mikhaïl n’avait plus de ponts à construire ni en Géorgie, déjà indépendante, ni au Kazakhstan, ni en Russie, ni même en Afghanistan où il avait séjourné trois mois et y avait rencontré Arkady, son associé, avec qui il faisait rentrer l’argent à la maison.
Après une génération de politiciens transformés en juristes et de juristes transformés en futurs ministres, la direction de la police avait choisi des juristes authentiques, en présentant comme une nouveauté le caractère primordial des compétences techniques pour le poste, en plus d’un certain goût pour les romans d’espionnage.
— Mais ce sont des lunettes pour lire.
— La lecture est une tâche de plus en plus dangereuse, Isaltino. Elle devient une activité à risque à partir d’un certain stade. Avec l’âge, les yeux ont moins la force de résister à tous ces mauvais livres. Et je ne parle pas du cerveau.
Au début, c’est difficile d’être méticuleux, songea-t-il, mais ensuite, on en prend l’habitude à mesure qu’apparaissent et disparaissent les cadavres. Ils apparaissent plus qu’ils ne disparaissent d’ailleurs. Et vu ses années d’expérience, ça faisait bien longtemps qu’il ne considérait plus un cadavre comme un événement extraordinaire.
Ô patrie de mes glorieux aïeuls, quel malheur d’être portugais, répétait-il souvent. Impossible également d’oublier son cousin Tchoi, soûl, le pantalon déchiré, la chemise blanche couverte de poussière, écrivant après la mort de sa fiancée un message d’amour inconcevable sur un mur de Salamansa, avec des lettres d’un mètre et demi : « Le monde m’a volé la meilleure fiancée qui soit. »