Citations sur Le langage inclusif. Pourquoi? Comment? (22)
S'agissant de l'homme, c'est l'époque des Lumières qui lui fait faire un grand bond en avant. Rousseau utilise deux fois plus le singulier que le pluriel, et il en farcit littéralement son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755) ; qui ne concerne toujours pas les femmes. Ceux qui prirent le pouvoir en 1789 décrétèrent donc les "droits de l'homme et du citoyen" sans qu'il ait jamais été question d'y inclure la moindre femme. Leurs successeurs de 1848 n'avaient rien d'autre en tête lorsque, convoquant le "peuple à l'exercice du suprême droit de l'homme". Ils décidèrent que voterait "tout Français en âge viril"- définition du suffrage universel selon eux. Et même chose pour leurs descendants de la IIIe République, qui, d'un assaut des progressistes à l'autre, réussirent à tenir sur cette ligne jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
Ce changement ne consiste pas seulement à ajouter des points ici et là, ou à admettre la féminisation de certains titres. En attirant l’attention sur les modalités de l’expression, sur le fonctionnement de l’outil qui nous sert à penser et à écrire, sur les lieux parfois bien obscurs où se cache le sexisme, l’écriture inclusive jette une lumière crue sur les mécanismes de la domination ordinaire.
(Postface de Raphaël Haddad et Chloé Sebagh)
La règle de proximité
Les Éditions iXe invitent leurs autrices et leurs auteurs à appliquer la règle dite de proximité, de voisinage ou de contiguïté, qui accorde en genre, et en nombre, l'adjectif, le participe passé et le verbe avec le nom qui les précède ou les suit immédiatement. Couramment appliquée jusqu'au XVIe siècle, elle fut attaquée au début du XVIIe par Malherbe et dans une moindre mesure par Vaugelas, en raison de la plus grande "noblesse" reconnue au genre masculin. Un siècle plus tard, Beauzée revenait à la charge avec cet argument explicite: "Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle."
Au lieu d'ancrer ainsi la domination dans la langue, la règle de proximité amène à écrire: "Les hommes et les femmes sont belles", "Toutes sortaient les couteaux et les dagues qu'elles avaient affûtées", "Joyeuses, des clameurs et des cris montaient de la foule", ou, comme Racine dans Iphigénie, "Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête".
[Note avant l'avertissement de début d'ouvrage]
De nouveau dans cette critique, l'écriture inclusive est réduite au point milieu. Mais le recours aux termes féminins, la double flexion, l'utilisation de termes ou de reformulations épicènes, l'accord de proximité ou l'accord de majorité ne posent pas de difficultés particulières. Quant au point milieu, il est de plus en plus accessible et la réforme du clavier AZERTY en cours permettra d'accroître cette accessibilité.
Par ailleurs, sur le plan technique, de nombreuses initiatives existent pour faciliter l'apprentissage et l'utilisation de l'écriture inclusive. Le Hackathon Écriture Inclusive, premier événement d'ampleur à avoir abordé cet enjeu sous un prisme technique, a permis la création de nombreux outils. Convertisseurs en écriture inclusive, buzzer, point milieu, sites de référence en ligne, plateforme collaborative de monitoring des pratiques, et même un logiciel de lecture automatique pour les personnes malvoyantes sont autant de réalisations qui facilitent l'adoption de l'écriture inclusive.
la langue française possède à peu près tout ce qu’il faut pour exprimer le féminin, et qu’il est bien plutôt question de réduire la place écrasante qu’occupe aujourd’hui le masculin dans ses usages courants
Quoiqu'il y ait un grand nombre de femmes qui professent, gravent, composent, traduisent, etc. on ne dit pas professeure, graveuse, compositrice, traductrice, etc., mais bien professeur, graveur, compositeur, traducteur, etc., par la raison que ces mots n'ont été inventés que pour les hommes qui exercent ces professions. 1834, Grammaire Bescherelle.
Précisons que la majuscule [à « Homme »], qui fait prétendument toute la différence entre le mâle commun et son apothéose, n’est qu’une autre de ces embrouilles dont on nous a leurré·es. Non seulement elle ne s’entend pas, mais elle ne correspond à rien, ni historiquement, ni scientifiquement. Les brochures où Robespierre défend les « droits de l’homme » laissent ces mots avec des minuscules – sauf sur les couvertures, où à cette époque la plupart des substantifs reçoivent une majuscule ; c’est la Ligue des Droits de l’Homme, née en 1898, qui popularisa l’emploi des majuscules dans cette expression, par suite de leur emploi systématique dans son matériel de communication. […]
L’homme, ce dernier oripeau d’une époque révolue, doit donc être abandonné – quoique conservé, et expliqué, au musée (encore à construire) de l’émancipation féminine, ou de la domination masculine.
p. 98
On peut d’ailleurs rappeler aux ronchon·nes qu’il fut un temps où les francophones ne connaissaient ni le point virgule, ni les deux points, ni les points de suspension ou d’exclamation, ni les cédilles, ni les accents graves ou circonflexes – et que tout cela a été digéré en quelques décennies !
p. 107
De fait, voilà longtemps que certains usages du langage inclusif (celui qui n'exclut pas) ont commencé de se répandre. Le fameux "Françaises, français !" du Général de Gaulle en relève, comme le "né(e)" qui figure sur nos cartes d'identité. Dans le premier cas, l'expression des deux termes (ce qu''on appelle aujourd'hui les doublets ou la double flexion) s'arrêtait vite, et le masculin reprenait ses droits. dans le second, le choix des parenthèses pour forger des mots génériques témoignait d'une absence de réflexion sur le sens de ces signes, tout en révélant trop limpidement comment l'égalité des sexes est souvent conçue : un fauteuil pour Monsieur un strapontin pour Madame.
La langue est un bien commun, ce bien commun doit être maitrisé pour que chacun et chacune puisse comprendre les autres (d’hier et d’aujourd’hui) et exprimer son point de vue clairement, voire créer une œuvre littéraire